La fragmentation d'un écosystème naturel consiste en la division du paysage (bois, plaines, forêts...) en fragments plus petits et isolés, séparés par des paysages transformés par l'homme (champs agricoles, villes, canaux...). Une étude à grande échelle menée par un consortium international de chercheurs, comprenant Jean Clobert de la Station d'Ecologie Expérimentale du CNRS à Moulis, révèle que ce processus est une véritable bombe à retardement. Ces travaux montrent que la division des habitats naturels aura des effets négatifs à long terme non prévus jusque-là, non seulement sur la biodiversité des écosystèmes, mais aussi sur leur fonctionnement. Contrairement à ce que pensaient les biologistes jusqu'à maintenant, les conséquences les plus visibles des fragmentations en cours ne seront détectables que dans 15-20 ans...
Pour cette étude de grande envergure, une équipe internationale composée d'une trentaine de scientifiques issus de sept pays (France, Etats-Unis, Canada, Brésil...), ont d'abord analysé l'évolution du couvert forestier terrestre en se basant sur des données satellitaires mondiales. Leurs résultats sont alarmants: ils révèlent que dans plus de 70 % des cas, où que l'on soit dans la foret, la lisière est à moins de 1 km. 1 kilomètre. Une lisière est la limite entre deux milieux, par exemple entre une forêt et une prairie, une clairière, une plage... La lisière présente des conditions microclimatiques et écologiques particulières et parfois des micro-habitats spécifiques, favorables ou au contraire défavorables aux espèces des milieux adjacents. Elle est pour cette raison, soumise à une dynamique éco-paysagère propre. On parle d'"effet-lisière" (ou "effet-bordure") qui induit tout un ensemble d'effets négatifs notamment sur les espèces originelles dont le nombre peut chuter à la faveur, entre autres, de l'arrivée d'espèces envahissantes.
L'équipe a ensuite étudié les données recueillies de 10 expériences de fragmentations à long terme, dont certaines sont en cours depuis plus de 35 ans, menées en grandeur nature sur divers types d'écosystèmes (forêts, plaines...). Les chercheurs se sont surtout intéressés à l'évolution du nombre d'espèces vivant sur ces parcelles au fil des années. Et là encore, le constat est inquiétant ... La fragmentation, notamment due à la déforestation dans les régions tempérées et tropicales, réduit la biodiversité de 13 à 75 % et détériore des fonctions clefs des écosystèmes comme le recyclage de la matière organique. Les effets sont plus marqués dans les fragments les plus petits et les plus isolés et s'amplifient avec le temps. "Plus que jamais, il est urgent d'adopter des mesures de conservation et de restauration des milieux naturels confrontés à la fragmentation. Cela est crucial pour endiguer les problématiques d'extinctions d'espèces et maintenir le bon fonctionnement des écosystèmes", insiste Jean Clobert, Directeur de la Station d'écologie expérimentale du CNRS à Moulis.
Afin de déterminer plus rapidement les causes des effets à long terme de la fragmentation (en 2-3 ans contre 15-20 ans) et d'étudier l'interaction entre fragmentation et réchauffement climatique, les chercheurs préconisent l'utilisation de modèles de fragmentations plus petits que les expérimentations grandeur nature. Nul doute que l'un d'eux, le modèle "Métatron", développé par l'équipe de Jean Clobert sur la station CNRS d'écologie de Moulis, constituera un outil expérimental de choix pour prévoir ces effets long termes.