Pour comprendre la présence, dans les massifs montagneux du Sahara central, de plantes ayant des affinités avec des espèces méditerranéennes, une équipe de l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE), CNRS/Université Avignon/Université d'Aix-Marseille/IRD, a remonté la piste des origines de l'une d'entre elles, le myrte de Nivelle. Elle a montré qu'il s'agissait d'un descendant du myrte commun, qui avait, au gré des climats du passé, fait une incursion à un millier de kilomètres au sud de la Méditerranée. Cette étude, qui décrypte pour la première fois les relations biogéographiques entre région méditerranéenne et Sahara, a été publiée en ligne par le Journal of Biogeography.
Vaste étendue de sable inhospitalière, dépourvue de vie, voilà comment le Sahara est souvent perçu. Pourtant, au sud de l'Algérie et au Tchad existent des massifs montagneux (Hoggar, Tassili n'Ajjer, Immidir, Tibesti), qui ont vite retenu l'attention des botanistes lors des premières explorations sahariennes, il y a plus d'un siècle. Au-dessus de 1 500 mètres d'altitude coexistent des plantes d'origines biogéographiques diverses, avec en particulier des espèces d'affinité méditerranéenne (laurier-rose, olivier, myrte, cyprès, globulaire, lavande), et ce à plus de mille kilomètres de la Méditerranée !
Les auteurs de l'étude publiée par le Journal of Biogeography ont étudié l'histoire évolutive de ces plantes avec une démarche phylogéographique. C'est une sorte d'enquête où l'on relève et décrypte, dans le génome des espèces étudiées, les empreintes laissées par les grandes crises environnementales du passé. Les chercheurs de l'IMBE ont appliqué cette démarche au myrte, arbuste emblématique des maquis méditerranéens. L'échantillonnage génétique sur lequel ils ont travaillé est l'un des plus ambitieux jamais réalisés pour une espèce méditerranéenne puisqu'ont été analysées 173 populations de myrte commun distribuées sur le pourtour méditerranéen et les régions adjacentes (des Açores jusqu'à l'Iran), mais aussi 23 populations de myrte de Nivelle, espèce affine du myrte commun et restreinte à quelques massifs du Sahara central.
Les résultats montrent que la diversité génétique est conditionnée par l'histoire biogéographique complexe de la Méditerranée et du Sahara. A partir d'une origine remontant au début du Miocène (23 millions d'années), l'histoire du genre Myrtus s'explique par deux périodes de diversification liées aux changements environnementaux survenus à la transition Miocène / Pliocène (vers 6,7 Ma) et au cours du Pléistocène (depuis 2,7 Ma). De nombreux mouvements ont eu lieu tout autour de la Méditerranée et notamment une "descente" dans le désert au début du Pléistocène. En fonction des conditions climatiques qui y régnaient, le Sahara a en effet constitué une barrière à la migration durant les phases arides, mais aussi un territoire d'échanges et de contacts des flores lors des épisodes pluviaux du Pléistocène, à l'époque du fameux "Sahara vert", avec l'ouverture de corridors biologiques vers le sud.
L'étude analyse aussi les conséquences génétiques de la fragmentation et de l'isolement des populations de myrte, réfugiées dans les massifs du Sahara central lors de l'aridification du désert qui a débuté il y a environ 5 000 ans. Cette situation unique d'espèces d'origine méditerranéenne piégées dans les montagnes du Sahara central peut fournir des enseignements précieux dans la compréhension des capacités de persistance ou d'adaptation des végétaux face aux changements globaux - notamment climatiques - annoncés.
Référence:
From Mediterranean shores to central Saharan mountains: key phylogeographical insights from the genus Myrtus, Journal of Biogeography, Jérémy Migliore, Alex Baumel, Marianick Juin & Fredéric Médail.