Dans l'imaginaire collectif comme en littérature, l'hallucination reste souvent synonyme de trouble psychique ou de consommation de substances toxiques. "Entendre des voix, c'est mauvais signe même dans le monde des sorciers..." rappelle ainsi Hermione Granger à Harry Potter (
Harry Potter et la chambre des secrets, Gallimard jeunesse, 1998).
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Pourtant, la manière dont notre cerveau construit en permanence une représentation mentale de ce qui nous entoure reflète autant les informations transmises par nos organes sensoriels que nos connaissances: notre perception du monde est donc, par définition, tout ce qu'il y a de plus personnel et subjectif ! Cette intégration subtile d'informations diverses a conduit des scientifiques à considérer nos perceptions comme des
"hallucinations contrôlées" du monde.
Le phénomène hallucinatoire peut ainsi être défini comme un stimulus perçu, mais ne s'appuyant sur rien de concret dans notre environnement - on voit vraiment quelque chose qui n'est pas là. Un élargissement de perspective qui change beaucoup de choses. Présent le long d'un continuum allant du normal au pathologique, il s'avère ainsi beaucoup plus répandu qu'on ne le croit... et moins connoté. Et son étude s'est imposée comme un
champs de recherche reconnu en neurosciences (Les neurosciences correspondent à l'ensemble de toutes les disciplines biologiques et...).
Il est apparu que sa survenue était favorisée dans certaines situations limites, notamment en cas de stress psychologique ou physiologique intenses. Les récits des explorateurs et des sportifs de l'extrême regorgent ainsi de témoignages d'hallucinations survenues dans ces séquences exceptionnelles, riches en informations sur leur nature et leur origine.
Pourquoi ces hallucinations de l'extrême ?
En induisant à la fois une privation d'oxygène (hypoxie) et de CO
2 (hypocapnie, due à l'hyperventilation), la très haute altitude expose déjà le grimpeur à des risques parfois mortels tel l'oedème
pulmonaire (Les pulmonaires sont des plantes de la famille des Boraginacées appartenant au genre...) ou cérébral.
Les efforts extrêmes fournis lors de certaines activités sportives peuvent entraîner la survenue d'hallucinations.
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Mais ce n'est pas tout. Il peut également être sujet de tout un panel de perceptions extraordinaires, allant de la paréidolie (
détection de formes dans l'environnement, par exemple de visages dans les nuages) à l'
autoscopie (L'autoscopie est un phénomène parapsychique dans lequel l'expérimentateur voit un "double de...) (
perception d'un double de soi mais en dehors de soi), en passant par un compagnon imaginaire ou des vécus spirituels proches de la sensation de fusion avec l'univers parfois décrite sous psychédéliques.
De tonalité affective variable, ces expériences appartiennent à la fois au registre de l'illusion, de l'hallucination et des états modifiés de conscience. Angoissantes parfois, elles ont paradoxalement assuré pour de nombreux alpinistes une
fonction rassurante d'"ange gardien".
Skippers en solitaire et autres coureurs d'ultra-trails ne sont pas en reste et présentent
également leur lot d'expériences hallucinatoires. Les erreurs d'encodage des informations sensorielles dans le cerveau résultent ici d'un savant mélange de
déshydratation (La déshydratation est la perte ou l'élimination de l'eau d'un corps. Cette dernière...), de privation de sommeil et de stimulations monotones et répétitives. Le bruit régulier des vagues sur la coque du bateau, qui modifie la bonne perception des bruits "significatifs" par rapport au
bruit de fond (Dans son sens courant, le mot de bruit se rapproche de la signification principale du mot son....), peut avoir cet effet.
Et à l'instar d'observations faites lors des confinements liés à la pandémie de Covid-19, la
solitude semble être un autre facteur favorisant leur émergence.
L'expérience hallucinatoire "extrême" se développe selon une complexité croissante. Surviennent déjà des phénomènes élémentaires et unimodaux (ne touchant qu'un seul sens): par exemple des phosphènes - des points scintillants - ou des acouphènes - des bruits parasites.
Solitude, épuisement mais aussi bruit répétitif et monotone comme celui des vagues sur la coque d'un navire favorisent l'émergence d'une expérience hallucinatoire.
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Apparaissent ensuite des distorsions de la perception: taille et contour des objets sont déformés (métamorphopsies). Puis le sujet touché connaît une augmentation de son
"langage intérieur" (cette petite voix dans notre tête) et un
ralentissement (Le signal de ralentissement (de type SNCF) annonce une aiguille (ou plusieurs) en position déviée...) cognitif. enfin,
au-delà de 48-72h de dette de sommeil, les hallucinations deviennent multisensorielles - on voit des formes humaines, on entend des voix, etc.
Il est possible de multiplier les exemples où le phénomène peut se produire avec la narcose au gaz inerte des plongeurs en eaux profondes, les expéditions polaires prolongées ou l'isolement sensoriel des spéléologues pris au piège de l'obscurité des mondes souterrains...
Ce qui est frappant, c'est qu'à chaque fois nous sommes aux limites de l'endurance et des capacités physiques ou psychiques humaines. Ce constat n'est pas sans rappeler les descriptions faites par 10 à 20 % des ressuscités d'arrêt cardio-respiratoire. Les expériences dites de mort imminente (EMI) comprennent elles aussi des phosphènes, pouvant aller jusqu'à la vision d'un tunnel lumineux, des flashs mnésiques, une sensation de conscience omnisciente ou des sensations de décorporation.
Ces expériences sont dans tous les cas des signaux d'alerte à ne pas négliger. Dans le cadre d'une pratique extrême en mer ou en haute montagne, elles sont corrélées à un risque d'accident accru, de chute ou de mauvaise décision pouvant s'avérer mortelle.
Quels mécanismes derrière ces hallucinations ?
Ces récits apportent-ils des éléments de compréhension sur les mécanismes possibles et l'origine de l'hallucination ? Une hypothèse a plusieurs fois été avancée: la sensibilité
différente (En mathématiques, la différente est définie en théorie algébrique des...) au manque d'énergie et d'oxygène de certaines zones cérébrales qui auraient un
métabolisme (Le métabolisme est l'ensemble des transformations moléculaires et énergétiques...) plus élevé.
L'hippocampe joue un rôle central dans la mémoire et l'accès à ses souvenirs autobiographiques.
Anatomography/Life Science Databases, CC BY-SA C'est notamment le cas de l'hippocampe (dans le lobe temporal) ou de
la jonction (La Jonction est un quartier de la ville de Genève (Suisse), son nom familier est "la Jonquille") temporo-pariétale (JTP, entre les lobes temporal et pariétal). Véritables carrefours de l'information, ces deux régions sont impliquées dans de multiples fonctions cognitives et sensorielles telles que l'accès aux souvenirs autobiographiques et à leur contexte d'encodage (pour l'hippocampe) ou la distinction entre le soi et le non-soi (pour la JTP).
Des travaux ont pu montrer qu'il était possible de reproduire expérimentalement un
vécu de sortie du corps en stimulant électriquement la JTP droite. Lors des expériences de mort imminente, la
connectivité du complexe hippocampique et de
la JTP sont profondément modifiées dans les secondes entourant le décès.
Ces régions cérébrales et leurs réseaux de connectivité ont également été incriminés dans la survenue d'expériences hallucinatoires chez les personnes
ayant reçu un diagnostic de schizophrénie (Le terme de schizophrénie regroupe de manière générique un ensemble...), de
Parkinson ou
ayant consommé du LSD.
Un phénomène complexe et intime
Il est probable que d'autres facteurs (biologiques ou non) concourent à leur émergence. L'hallucination figure d'ailleurs au premier rang des symptômes de plusieurs pathologies cérébrales ou systémiques (troubles psychiatriques, neurologiques, immuno-inflammatoires, génétiques)... Elle n'en reste pas moins une expérience humaine fascinante et intime, puisqu'au-delà des mécanismes sous-jacents à son éclosion, ce qui est vécu reste propre à chacun.
La jonction temporo-pariétale est impliquée dans la distinction soi/non-soi.
Database Center for Life Science (DBCLS)/BodyParts3D, CC BY-SA Observables dans une multitude de contextes, les hallucinations ont également un seuil de déclenchement variable d'un individu à l'autre, allant du simple stress social (isolement) à l'agonie (lors des EMI), en passant par l'exposition à des milieux extrêmes. Leur caractère ubiquitaire doit nous amener à lutter plus efficacement contre la stigmatisation dont les personnes concernées font l'objet, sans banaliser la souffrance psychique qui les accompagne souvent.
Des dispositifs cliniques spécialisés à même de recevoir les personnes avec hallucinations existent sur le territoire. Ils permettent d'évaluer le besoin de soins, de poser un diagnostic, de proposer une prise en charge le cas échéant, mais aussi de prévenir une complication ou un risque de suicide (voir ci-dessous). Certains sont dédiés aux enfants et adolescents, qui peuvent également souffrir d'expériences envahissantes à même de grever leur développement et leurs apprentissages.
En amont de ces prises en charge, le maintien d'une bonne hygiène de vie (qualité du sommeil ou des liens sociaux) constitue une mesure simple permettant de réduire la
fréquence (En physique, la fréquence désigne en général la mesure du nombre de fois qu'un...) de survenue de troubles psychiques en général, et des hallucinations en particulier...
Tout aventurier de l'extrême devrait par ailleurs inclure dans sa préparation une information sur les causes possibles de l'hallucination en milieu exceptionnel, sa signification, les risques associés et la manière d'en limiter l'impact.