De même que notre coeur, dont la partie droite et la partie gauche jouent des rôles distincts dans la circulation sanguine, notre cerveau est en réalité composé d'un cerveau gauche et d'un cerveau droit aux fonctions bien différenciées. Comment le
cerveau (Le cerveau est le principal organe du système nerveux central des animaux. Le cerveau traite...) devient-il latéralisé, quels sont les gènes contrôlant son
asymétrie (L'asymétrie est l’absence de symétrie, ou son inverse. Dans la nature, les crabes...) droite-gauche et quel est son rôle dans les grandes fonctions cognitives sont autant de questions ouvertes.
Une étude, publiée dans la revue
Nature Communications, a identifié chez la
drosophile (La drosophile (du grec drosos : la rosée et philos : qui aime) est un insecte...) une voie de guidage axonal qui est essentielle à la construction d'un circuit neuronal asymétrique, lui-même essentiel à la
mémoire (D'une manière générale, la mémoire est le stockage de l'information. C'est aussi le souvenir...) à long terme. Ce travail ouvre de nouvelles perspectives pour l'étude de l'asymétrie du cerveau et de ses multiples fonctions.
Montage d'images de neurones H chez des individus normaux (à gauche), ou l'on peut voir les neurones droit (D) et gauche (G) projeter leurs axones dans le corps asymétrique droit (CAD). Dans les mutants pour la voie NetrinB (NetB, unc-5, fra), ces neurones perdent leur asymétrie et projettent leurs axones à la fois à droite et à gauche du cerveau (panneau droit). Les individus symétriques perdent la mémoire à long terme.
© François Lapraz et Stéphane Noselli
Chacun au travers de son expérience personnelle peut prendre conscience que notre cerveau fonctionne de façon asymétrique: par exemple, nous utilisons de façon préférentielle l'une des deux mains (90 % de la population est droitière, 10 % gauchère), et malgré une vision binoculaire nous possédons un oeil directeur.
Par ailleurs, nous savons depuis les travaux pionniers de Paul Pierre Broca (1824-1880) que le siège du langage se trouve dans l'hémisphère gauche. La latéralisation du cerveau et la dominance des hémisphères dans la réalisation de nombreuses fonctions cognitives (langage, créativité, représentation dans l'espace, interactions sociales, etc.) sont connues depuis plusieurs siècles, et plusieurs troubles neurologiques (dyslexie, schizophrénie,
autisme (Le terme autisme tend a désigner aujourd'hui un trouble affectant la personne dans trois...), trouble de l'attention, etc.) sont associés à des défauts de latéralité du cerveau.
Mais de façon surprenante, nous ne disposons à nos jours que de connaissances très parcellaires concernant les bases génétiques de l'asymétrie droite-gauche du cerveau et de son rôle précis dans la cognition. L'asymétrie du cerveau est présente et conservée chez les animaux, de la drosophile à l'homme mais contrairement aux asymétries des organes viscéraux (comme le positionnement du coeur à gauche) qui sont bien caractérisées, l'étude de l'asymétrie du
système nerveux (Le système nerveux est un système en réseau formé des organes des sens, des...) souffre d'un fort retard dû au manque de modèles génétiques adéquats.
Dans une étude précédente, les scientifiques ont isolé le premier gène contrôlant l'asymétrie droite-gauche des organes viscéraux chez la drosophile, le gène
myosin1D (
myo1D). Les mutations dans ce gène entraînent une inversion complète des organes se traduisant par une
pathologie (La pathologie, terme provenant du Grec ancien, est littéralement le discours, la...) appelée
situs inversus.
myo1D contrôle (Le mot contrôle peut avoir plusieurs sens. Il peut être employé comme synonyme d'examen, de...) aussi l'asymétrie droite-gauche chez les
vertébrés (Les vertébrés forment un sous-embranchement du règne animal. Ce taxon, qui dans sa...) modèles
poisson zèbre (Le Poisson zèbre ou Danio (Danio rerio) est une espèce de poisson qui se rencontre en...) et xénope, et des études récentes ont identifié la première mutation de
myo1D chez l'homme entraînant des défauts d'asymétrie droite-gauche chez une fillette consanguine.
Dans cette étude, les scientifiques ont naturellement voulu déterminer si
myo1D était aussi impliqué dans l'asymétrie droite-gauche du cerveau. De façon surprenante cela n'est pas le cas, indiquant l'existence de gènes spécifiques contrôlant la latéralité du cerveau, et restant à découvrir. Les scientifiques ont alors mis en place une
stratégie (La stratégie - du grec stratos qui signifie « armée » et ageîn qui signifie...) afin d'identifier plusieurs gènes contrôlant l'asymétrie d'un circuit neuronal composé de 20 neurones (10 neurones par hémisphère), appelés "neurones H" du fait de leur morphologie rappelant un H majuscule. Chez des individus normaux, les neurones H droit et gauche projettent leurs axones dans la partie droite du cerveau, créant ainsi un circuit neuronal asymétrique.
De façon très intéressante, cette étude montre que des mutations dans le gène
NetrinB rendent le cerveau parfaitement symétrique, les neurones H droite et gauche projetant maintenant à la fois à droite et à gauche. NetB est requis uniquement à droite du cerveau, indiquant donc une fonction asymétrique de NetB essentielle au processus.
NetB est un gène codant une
protéine (Une protéine est une macromolécule biologique composée par une ou plusieurs...) dite signal, qui diffuse d'un neurone à l'autre pour communiquer une information de guidage aux axones. Les neurones destinataires reçoivent cette information grâce à des récepteurs spécifiques
unc-5 et
fra. De façon
logique (La logique (du grec logikê, dérivé de logos (λόγος),...), la mutation des gènes
unc-5 et
fra rend également le cerveau symétrique, indiquant que la voie NetB dans son
ensemble (En théorie des ensembles, un ensemble désigne intuitivement une collection...) est requise pour le guidage des neurones H.
Mais quel peut-être le rôle de l'asymétrie des neurones H ? Les scientifiques ont pu montrer que les individus normaux (asymétriques) sont doués de mémoire à long terme, alors que cette mémoire est très fortement affectée chez les individus mutants pour la voie NetB. Ainsi, ce travail permet d'identifier les premiers gènes contrôlant l'asymétrie du cerveau chez la drosophile, gènes conservés chez les vertébrés dont l'homme. Il montre par ailleurs l'importance de la latéralisation du cerveau dans une fonction cognitive importante comme la mémoire. De façon comparable à la préférence d'usage de la main chez l'homme, ou 10 % des individus sont gauchers, dans la nature environ 5 % des drosophiles ont un cerveau symétrique, sans être mutantes.
Cela peut-il dire qu'il est important de générer et préserver des minorités au sein d'une population, par exemple capables d'oublier certaines expériences lointaines ? La perte de la mémoire serait-elle nécessaire en réponse à certaines situations rencontrées dans la nature ? L'utilisation des neurones H comme nouveau modèle d'étude permettra de répondre à cette question, ainsi qu'identifier de nouveaux gènes conservés et impliqués dans la latéralité du cerveau et comprendre les fonctions cognitives associées.
Pour en savoir plus:
Asymmetric activity of NetrinB controls laterality of the Drosophila brain.
F. Lapraz, C. Boutres, C. Fixary-Schuster, B.R. De Queiroz, P.Y. Plaçais, D. Cerezo, F. Besse, T. Préat and S. Noselli.
Nature Communications 14, 1052 (2023).
DOI: 10.1038/s41467-023-36644-4