Une image astronomique inhabituelle d'une galaxie lointaine pourrait révéler la présence d'une substance mystérieuse qui compose la majeure partie de notre Univers, mais qui reste invisible à nos instruments.
Lorsque les astronomes ont examiné pour la première fois les données, ils ont cru à une erreur technique. Pierre Cox, astronome au Centre national de la recherche scientifique, a exprimé son étonnement face à cette découverte inattendue. L'image montrait ce qu'on appelle une "croix d'Einstein", un phénomène où la lumière d'une galaxie lointaine se déforme en passant près d'un objet massif, créant généralement quatre images distinctes. Mais cette fois, un cinquième point lumineux apparaissait au centre, contredisant les prédictions théoriques habituelles.
Cette 'croix d'Einstein' particulière montre la lumière d'une galaxie lointaine amplifiée et répétée cinq fois au lieu des quatre habituelles. Crédit: Nicolás Lira Turpaud (Observatoire ALMA) & adapté de Cox et al. 2025
Les chercheurs ont entrepris une série d'analyses pour comprendre cette anomalie. Ils ont utilisé des modèles informatiques pour tester différentes hypothèses. Leurs simulations ont confirmé que les cinq points lumineux provenaient bien de la même galaxie, éliminant la possibilité d'un objet interférent. Après avoir exclu les défaillances instrumentales en comparant avec les données d'autres observatoires, l'équipe a exploré l'hypothèse d'une concentration de matière noire.
La matière noire représente l'un des plus grands mystères de la cosmologie moderne. Cette substance invisible n'interagit pas avec la lumière mais exerce une influence gravitationnelle sur son environnement. Dans le cas de cette observation particulière, un halo dense de matière noire pourrait expliquer la formation du cinquième point lumineux en déviant la lumière de manière inhabituelle. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives pour étudier directement les propriétés de cette composante fondamentale de l'Univers.
Cette observation exceptionnelle permet aux astronomes d'étudier simultanément une galaxie lointaine et la matière invisible qui déforme sa lumière. L'équipe scientifique espère maintenant utiliser ces données pour affiner les modèles théoriques et mieux comprendre la distribution de la matière noire dans l'Univers. Ces recherches pourraient mener à des avancées significatives dans notre compréhension de la structure cosmique et des forces qui gouvernent l'évolution des galaxies.
La matière noire: l'invisible qui façonne l'Univers
La matière noire constitue environ 85% de la matière totale de l'Univers, mais elle reste indétectable par les moyens conventionnels. Contrairement à la matière ordinaire qui compose les étoiles, les planètes et tout ce que nous voyons, elle n'émet ni n'absorbe de rayonnement électromagnétique.
Sa présence se manifeste uniquement par ses effets gravitationnels sur les objets visibles. Les astronomes ont d'abord suspecté son existence en observant que les galaxies tournaient trop vite pour la quantité de matière visible qu'elles contenaient. Sans la gravité supplémentaire de la matière noire, ces galaxies se disloqueraient sous l'effet de leur propre rotation.
Les chercheurs pensent que la matière noire forme d'immenses halos autour des galaxies, s'étendant bien au-delà de leurs limites visibles. Ces structures invisibles agissent comme des échafaudages cosmiques sur lesquels se forment les galaxies. La détection de ces halos par des méthodes indirectes, comme les lentilles gravitationnelles, représente donc un enjeu majeur pour la cosmologie.
Plusieurs candidats théoriques existent pour expliquer la nature de la matière noire, allant des particules supersymétriques aux axions. Chaque modèle prédit des propriétés différentes qui pourraient être testées grâce à des observations comme celle de la croix d'Einstein quintuple.
Les lentilles gravitationnelles: des télescopes naturels
Le phénomène de lentille gravitationnelle, prédit par la théorie de la relativité générale d'Einstein, se produit lorsque la lumière d'un objet distant est déviée par la gravité d'un objet massif situé entre lui et l'observateur. Cet effet fonctionne comme une loupe cosmique naturelle, amplifiant et déformant l'image des galaxies lointaines.
Dans le cas d'un alignement parfait entre la source, la lentille et l'observateur, on observe une croix d'Einstein classique avec quatre images distinctes. La configuration exacte dépend de la distribution de masse de l'objet lentille. Les amas de galaxies, avec leur concentration importante de matière noire, produisent souvent des effets de lentille spectaculaires.
Les astronomes utilisent ces phénomènes pour étudier des objets autrement trop faibles ou trop lointains pour être observés directement. Les lentilles gravitationnelles permettent également de cartographier la distribution de matière, y compris la matière noire, dans l'Univers. Chaque distorsion observée révèle des informations précieuses sur la masse et la structure de l'objet lentille.
L'apparition d'une cinquième image centrale, comme dans le cas de HerS-3, indique une distribution de masse particulière qui pourrait correspondre à un halo de matière noire très concentré. Ces observations rares offrent des opportunités uniques pour tester les modèles de formation des structures cosmiques.