Les équipes de Catherine Moali au laboratoire Biologie tissulaire et ingénierie thérapeutique et de Nushin Aghajari au laboratoire Microbiologie moléculaire et biochimie structurale explicitent le mécanisme d'assemblage de la "bonne" forme de la protéine la plus abondante chez l'homme, le collagène de type I. Cette étude a été publiée le 10 mars 2017 dans la revue Nature Communications.
Le cancer du sein est le cancer féminin le plus fréquent. Malgré les avancées dans la caractérisation et le traitement de cette maladie, elle reste une cause majeure de décès dans le monde. La principale origine de ces décès est l'existence de métastases liées à la capacité des cellules tumorales à se disséminer d'abord localement puis à distance dans d'autres organes. Les cellules graisseuses, ou adipocytes, sont très présentes à coté des cancers du sein et les chercheurs avaient mis en lumière auparavant un dialogue étroit, sur le front invasif des cancers (c'est-à-dire là où la tumeur rencontre le tissu graisseux) entre les adipocytes et les cellules cancéreuses mammaires, au profit du développement du cancer (Dirat et al. Cancer Research, 2011 ; Bochet et al. Cancer Research 2013). Les adipocytes à proximité de la tumeur présentent une diminution de leur taille et de leur contenu en lipides. Les scientifiques ont donc cherché à savoir si les lipides libérés par les adipocytes pouvaient être captés et utilisés par les cellules cancéreuses.
Les collagènes constituent environ 30% de la masse totale de toutes les protéines du corps humain. Alors qu'il existe 28 types de collagène différents chez l'homme, le collagène de type I est de loin la forme la plus répandue (90 % du total). La molécule de collagène I a la forme d'un bâtonnet 200 fois plus long que large. A l'extérieur des cellules, au sein de la "matrice extracellulaire", ces molécules s'associent spontanément entre elles afin de former des fibres de plusieurs millimètres de longueur. Ces fibres jouent un rôle primordial dans la plupart des tissus et organes tels que la peau, les os, le cartilage, les tendons, la cornée, les vaisseaux et le coeur. Ainsi, elles créent la charpente à la base de l'organisation tridimensionnelle de systèmes multicellulaires. En plus de ce rôle essentiellement structural, le collagène I est également impliqué dans plusieurs autres phénomènes (transparence de la cornée, migration et prolifération cellulaire, etc) ainsi que dans de nombreuses maladies héréditaires et acquises.
Chaque molécule de collagène I comporte trois chaînes polypeptidiques, chacune constituée d'environ 1000 acides aminés. Normalement, deux de ces chaines sont génétiquement identiques (appelées a1) tandis que la troisième chaîne est distincte (appelée a2). Cette "bonne" forme de collagène I est appelée hétérotrimère. Cependant, dans les tissus embryonnaires ainsi que dans certaines maladies telles que le cancer, la fibrose, l'arthrose, l'ostéoporose et l'ostéogenèse imparfaite, on trouve également une "mauvaise" forme de collagène I, appelée homotrimère, constituée de trois chaines a1 identiques. Bien que l'homotrimère conserve la capacité de s'associer en fibres, celles-ci ont des caractéristiques différentes de celles de l'hétérotrimère, aboutissant ainsi à des maladies souvent graves. Néanmoins, malgré un siècle de recherche, les mécanismes qui déterminent l'assemblage de ces différentes formes du collagène I restaient inconnus.
Afin d'éviter la formation prématurée des fibres à l'intérieur de la cellule, ces collagènes sont synthétisés sous la forme de précurseurs solubles, les procollagènes, composés d'une longue partie centrale en forme de bâtonnet flanquée de deux régions globulaires (appelés N-propeptides et C-propeptides). Ce sont les C-propeptides qui assurent l'association précise des chaînes a1 et a2.
Pour la première fois, les chercheurs ont déterminé la structure tridimensionnelle de l'homotrimère des C-propeptides du procollagène I, ce qui révèle la nature exacte des mécanismes de reconnaissance impliqués. Ils ont également étudié les effets de plusieurs mutations ponctuelles qui gouvernent l'assemblage de l'homotrimère et de l'hétérotrimère. Ces expériences démontrent qu'une seule mutation dans la chaine a1 (identifiée précédemment chez un patient souffrant d'ostéogénèse imparfaite) empêche l'incorporation de la chaine a2 dans l'hétérotrimère. Enfin, par modélisation moléculaire, quatre acides aminés présents sur la chaîne a2 (qui est incapable de s'associer avec elle-même) ont été identifiés comme essentiels pour la formation de l'hétérotrimère. Ces résultats permettront de mieux comprendre l'organisation de nombreux tissus et organes avec des retombées éventuelles pour la santé humaine.