Emergence d'une nouvelle force en matière molle

Publié par Redbran,
Source et illustration: CNRS-INCAutres langues:
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Quel point commun y-a-t-il entre une articulation cartilagineuse, l'aquaplaning d'un véhicule ou l'écoulement de globules rouges dans des vaisseaux sanguins ? Ces trois cas de figure mettent en jeu un écoulement confiné, dit de lubrification, et une ou plusieurs surfaces molles. La lubrification correspond à l'écoulement d'un liquide qui sépare deux surfaces en mouvement très proches l'une de l'autre. Des chercheurs de l'université d'Harvard, de l'ENS et du laboratoire Gulliver (CNRS/ESPCI) ont combiné approches théorique et expérimentale pour tenter de mieux comprendre les facteurs qui influencent le mouvement d'un objet libre, lubrifié, près d'une surface molle. Leurs travaux publiés dans PNAS ouvrent la voie à de nouveaux principes de conception pour réduire et contrôler la friction entre deux surfaces voisines.


Dispositif expérimental et profilométrie laser. (a) Un cylindre rigide immergé dans un bain visqueux glisse le long d'un plan incliné revêtu d'une fine couche élastique. Des particules fluorescentes incrustées dans cette dernière permettent d'observer sa déformation à l'aide d'une nappe laser. (b) Vue latérale de la déformation du substrat à l'aide du signal de fluorescence (rouge) et de sa moyenne (ligne blanche). Les pointillés blancs indiquent la surface du cylindre, et les noirs correspondent à l'état de référence de la couche élastique au repos.
Depuis les travaux pionniers de Reynolds au dix-neuvième siècle, la lubrification a été très étudiée dans le monde industriel. Cruciale en ingénierie, elle permet de mieux contrôler et de réduire les forces de friction - comme dans le cas des pistons d'un moteur par exemple - en évitant le contact solide-solide, source de dissipation d'énergie et d'usure rapide. La lubrification correspond à l'écoulement d'un liquide qui sépare deux surfaces très proches l'une de l'autre. Ce type d'écoulement confiné est également omniprésent dans la nature, à des échelles très variées, comme par exemple dans certains glissements de terrain. Dans toutes ces situations, les pressions engendrées par les écoulements confinés peuvent être très importantes, à tel point que les surfaces concernées (cartilage, pneu, globule, argile, etc...) sont susceptibles de se déformer sous l'effet de cette pression.

Dans ce contexte, les chercheurs ont développé un dispositif expérimental permettant de déterminer les paramètres qui influencent le mouvement d'un objet libre, lubrifié, près d'une surface molle. Le montage consiste en un plan incliné recouvert d'une de couche de gel mou, le tout étant immergé dans une huile de viscosité contrôlée (voir figure). Les scientifiques ont étudié le glissement de différents cylindres le long de cette surface, en variant la nature du gel mou et l'épaisseur du substrat. Par rapport à une surface rigide, ils ont observé que la vitesse de glissement augmente significativement sur une surface molle, ce qui correspond à une diminution de la friction effective.

Les chercheurs ont également montré expérimentalement que lorsque le cylindre glisse sur la surface, celle-ci se déforme de façon asymétrique. En effet, l'écoulement du lubrifiant sous le cylindre engendre une surpression à l'avant qui comprime le gel, et une dépression à l'arrière qui, à l'inverse, l'attire vers le cylindre. Cette asymétrie de déformation engendre une asymétrie d'écoulement. Dès lors, comme la portance aérodynamique créée par l'asymétrie d'écoulement de l'air autour d'une aile d'avion, il émerge ici aussi une portance, mais cette fois d'origine élasto-hydrodynamique. Cette force s'oppose au poids et explique donc pourquoi le cylindre plane lors de sa descente, avec une vitesse constante. La théorie prédit une vitesse de glissement d'autant plus grande que le substrat est mou, ce qui a pu être vérifié expérimentalement. Cependant, lorsque les gels deviennent très mous et donc les déformations élevées, la théorie n'est plus vérifiée et la vitesse diminue de nouveau. Cela suggère l'existence d'un optimum de rigidité pour réduire la friction.

Ce travail ouvre la voie à de nouveaux principes de conception pour réduire et contrôler la friction, et apporte également de nouvelles pistes pour mieux comprendre des phénomènes complexes allant du vieillissement des articulations du corps humain à l'origine des glissements de terrain.

Référence:
B. Saintyves, T. Jules, T. Salez & L. Mahadevan
Self-sustained lift and low friction via soft lubrication
PNAS 10 mai 2016
doi: 10.1073/pnas.1525462113

Contacts chercheurs:
- L. Mahadevan, Paulson School of Engineering and Applied Sciences – Harvard University
- Baudouin Saintyves, Paulson School of Engineering and Applied Sciences – Harvard University
- Théo Jules, Département de physique, ENS Paris
- Thomas Salez, CNRS & ESPCI

Contacts institut:
Christophe Cartier dit Moulin, Stéphanie Younes
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