Une équipe de l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire révèle que le perturbateur endocrinien BisPhénol A interagit avec le récepteur de l'hormone androgène, non pas sous sa forme native, mais quand il est sous forme de fibres amyloïdes impliquées dans un nouveau mécanisme d'action de cette protéine. Cette étude publiée dans la revue PLos One, ouvre une nouvelle piste pour le traitement de certaines formes graves du cancer de la prostate, et contribue à une meilleure compréhension de la formation des fibres amyloïdes.
Le BisPhenol A, un interférant endocrinien largement présent dans l'environnement, perturbe l'action des hormones males (androgènes) et femelles (oestrogènes) chez l'homme et dans les écosystèmes. Pour cette raison, il est aujourd'hui banni de nombreuses matières plastiques dans lesquelles il était auparavant largement présent. Des chercheurs écossais avaient montré (Cancer Cell, 2010 ; 17, 535) qu'un dérivé issu de cette molécule présente un potentiel pour le traitement des cancers de la prostate, en particulier dans sa variante la plus agressive pour laquelle il n'existe actuellement pas de traitement. Le mécanisme d'action de cette molécule prometteuse demeurait inconnu.
L'équipe de Marc-André Delsuc et Bruno Kieffer, qui étudie le récepteur androgène à l'IGBMC, apporte une contribution originale à l'élucidation de ce mécanisme. Le récepteur androgène, protéine qui rend possible l'action de l'hormone dans l'organisme humain, présente la particularité unique chez les récepteurs hormonaux dit "nucléaires", d'avoir un long domaine N-terminal "désordonné", c'est à dire sans structure tridimensionnelle unique. Cette propriété rend son étude difficile par les approches classiques de la biologie structurale basées sur la diffraction des rayons X et la microscopie électronique et explique l'absence actuelle d'information sur les mécanismes moléculaires impliqués dans ces phénomènes d'interférence endocrinienne.
Des chercheurs de l'équipe avaient montré que ce domaine "désordonné" possède la propriété étonnante de former rapidement et de façon réversible des fibres amyloïdes, via une structure conservée chez tous les vertébrés (ChemBioChem. 2014 vol. 15, 2370). Du fait de leur accumulation irréversible dans les cellules, de telles fibres sont généralement rencontrées dans le contexte pathologique d"amyloidoses", maladies neurodégénératrices (Alzeimer), mais aussi maladies des reins, du pancréas (diabète de type 2), ou même de la peau (purpura). Cette découverte suggérait que la formation de fibres amyloïdes pouvait être impliquée dans les mécanismes d'action "naturels" et non-pathologiques du récepteur androgène.
Les chercheurs, en utilisant une approche basée sur le phénomène de Résonance Magnétique Nucléaire, montrent maintenant que le BisPhenol A, ainsi que ses dérivés, interagissent de façon spécifique avec les fibres amyloïdes formées par le motif caractéristique du récepteur androgène. La découverte de ce mode d'interaction inédit ouvre la voie à de nouveaux développements thérapeutiques pour les formes graves de cancer de la prostate, et contribue à une meilleure compréhension du phénomène de formation des fibres amyloïdes en général.