Certaines anomalies chromosomiques, de type pré-leucémiques, apparaissent surreprésentées chez des diabétiques de type 2 (DT2) souffrant de complications vasculaires. Cette découverte pourrait en partie expliquer la surmortalité par cancer chez les patients présentant un diabète de ce type. Ces résultats ont été mis en évidence par une équipe franco-britannico-qatari coordonnée par le Professeur Philippe Froguel du laboratoire Génomique et maladies métaboliques (CNRS/Université Lille 2/Institut Pasteur de Lille), en collaboration avec des équipes rattachées à l'Inserm, à l'AP-HP et aux universités Paris Diderot et Paris-Sud (1). Leurs travaux ont été publiés le 14 juillet 2013 sur le site de la revue Nature Genetics.
Plus de 200 millions de personnes sont diabétiques dans le monde, et un diabétique sur trois souffre de complications vasculaires ou nerveuses. En 2012, deux études publiées dans Nature Genetics ont montré que de larges anomalies chromosomiques clonales en mosaïque (ACM) (2) touchant de grandes portions de chromosomes (voire leur intégralité), apparaissaient dans l'ADN de cellules sanguines ou salivaires de certaines personnes vieillissantes. Ces travaux ont en outre suggéré que les ACM prédisaient le risque de cancers, notamment de leucémies, chez ces individus. La fréquence des ACM est en effet négligeable chez les individus de moins de 50 ans, alors qu'elles touchent 2% des personnes de plus de 70 ans chez qui elles décuplent le risque de cancers, notamment hématologiques.
Par ailleurs, le diabète de type 2 (DT2) est une maladie accélératrice du vieillissement et de ses maladies associées. Le DT2 est ainsi caractérisé par une augmentation marquée du risque de cancer, en particulier de cancers hématologiques comme la leucémie.
L'équipe de Philippe Froguel étudie depuis plusieurs années le DT2. Elle s'est demandée, si tout comme le grand âge, le DT2 entraînait l'apparition d'anomalies chromosomiques de type ACM dans les cellules sanguines. Pour cela, les chercheurs ont utilisé une technologie d'analyse génétique peu onéreuse qui repose sur des puces à ADN de quelques centimètres carrés sur lesquelles près d'un demi-million de mutations de l'ADN sont gravées. Chaque puce permet de "disséquer" entièrement le génome d'une personne.
Par cette méthode, les chercheurs ont évalué la présence d'ACM dans l'ADN sanguin issu de 7 437 individus de plus 50 ans, incluant 2 208 patients présentant un DT2. Résultat: la fréquence des porteurs d'ACM est 4 fois plus élevée chez les patients présentant un DT2 que chez les personnes témoins. De plus, les scientifiques ont confirmé un effet significatif de l'âge sur la présence d'ACM. De manière plus précise, ils ont montré que les porteurs diabétiques d'ACM affichaient un DT2 bien plus sévère – présence de complications vasculaires (aux yeux, aux reins ou au cœur) - que les non-porteurs. Malgré un poids plus bas que ces derniers, 70% des diabétiques porteurs d'ACM présentaient des complications micro- et/ou macrovasculaires liées au DT2. La présence de certaines anomalies chromosomiques de type ACM pourrait ainsi en partie expliquer la forte fréquence de cancers chez les diabétiques de type 2.
Cette étude pourrait avoir des implications cliniques importantes, notamment pour détecter des états précancéreux chez certains diabétiques. Une analyse génétique des ACM utilisant les puces à ADN pourrait ainsi être proposée, principalement chez des patients avec un DT2 sévère associé à des complications vasculaires précoces.
Notes:
(1) Ces travaux ont été réalisés par l'équipe franco-britannico-qatari coordonnée par le professeur Philippe Froguel du laboratoire Génomique et maladies métaboliques (CNRS/Université Lille 2/Institut Pasteur de Lille) et Imperial College London, en collaboration avec des équipes rattachées à l'Inserm, à l'AP-HP et aux universités Paris Diderot et Paris-Sud. Ces travaux s'inscrivent également dans le cadre du projet EGID (European Genomic Institute for Diabetes, CNRS/Inserm/Université Lille 2/Institut Pasteur de Lille/CHRU Lille).
(2) On parle d'anomalies en "mosaïque" pour des anomalies présentes dans certaines cellules ou tissus de l'individu (ces anomalies ne se retrouvent pas dans toutes les cellules ou tous les tissus): c'est le cas principalement d'anomalies chromosomiques acquises au cours du temps.
Référence:
Association between large detectable clonal mosaicism and type 2 diabetes with vascular complications. Amélie Bonnefond, Boris Skrobek, Stéphane Lobbens, Elodie Eury, Dorothée Thuillier, Stéphane Cauchi, Olivier Lantieri, Beverley Balkau, Elio Riboli, Michel Marre, Guillaume Charpentier, Loïc Yengo & Philippe Froguel. Nature Genetics. 14 juillet 2013. DOI: 10.1038/ng.2700