La semaine dernière, nous avons vu qu'un système complet de traitement interactif de l'information, le NLS (oN-Line System), fonctionnait dès la fin des années 60 dans certains laboratoires de recherche. Cependant, la complexité d'apprentissage de certains de ses outils et son architecture centralisée ont créé de fortes dissensions entre chercheurs, provoquant le départ de certains d'entre eux vers d'autres laboratoires. Nous allons voir cette semaine ce qu'ils sont devenus et ce qu'ils ont inventé les années suivantes...
La création du Xerox PARC (Xerox Palo Alto Research Center)
A cette époque, Xerox crée un nouvel institut de recherche: le Xerox PARC. Cette entité a pour but de créer les outils d'édition du futur. C'est notamment au sein de ce centre de recherche que seront mises au point les premières imprimantes laser. Ce laboratoire va aussi mettre au point un véritable "univers" de travail informatique.
Pour lancer son laboratoire de recherche dans les meilleures conditions, Xerox va recruter ce qui se fait de mieux dans les milieux de la recherche. L'entreprise va ainsi compter dans ses équipes des talents issus de l'université de Berkeley, du MIT, ainsi que des membres de l'Augmentation Research Center de Douglas Engelbart. Parmi les membres de l'équipe, on trouve donc des personnes qui ont travaillé sur Sketchpad, sur le NLS (oN-Line System) ou encore sur ARPANET (Advanced Research Projects Agency Network). Ce vivier de cerveaux va alors créer des outils qui vont avoir une très grande influence par la suite.
Le Xerox Alto
L'une des idées phare est de créer un ordinateur qui serait à la fois portable et suffisamment intuitif pour être utilisé y compris par des enfants: le dynabook. Parmi les instigateurs de ce projet, on peut citer Alan Curtis Key qui avait posé les bases d'un tel objet dès 1968. Si cet objet est très proche de nos ordinateurs portables, les technologies de l'époque ne permettent pas de le construire, pas plus en 1970 qu'en 1968.
Les chercheurs vont donc se contenter d'un "alternative dynabook". C'est-à-dire un ordinateur ayant la puissance pour faire fonctionner les applications qu'ils entendent programmer, mais construit avec les technologies alors disponibles. Le résultat est une machine ayant la taille et la portabilité d'une gazinière et dont le coût de construction était nullement compatible avec les budgets familiaux de l'époque: le Xerox Alto.
Le Xerox Alto n'en est pas moins une machine moderne. Pour l'époque il s'agit d'un ordinateur de taille modeste dans la mesure où il tient facilement dans un bureau, à la manière des PC actuels. Surtout, le Xerox Alto est un ordinateur complet: disque dur, mémoire vive extensible, carte réseau Ethernet... Il offre en plus le luxe de pouvoir être directement piloté par un clavier et une souris et d'afficher des informations sur un écran, positionné à la verticale. Il ne faut pas oublier que nous sommes alors en 1972, à une époque où la plupart des ordinateurs ne comprennent encore que le langage des cartes et bandes perforées !
Ces enfants s'amusent avec le tout premier Xerox Alto, nous sommes en 1973 et ils sont certainement les premiers à pouvoir jouer avec un ordinateur personnel ! (illustration de Xerox Corporation)
Smalltalk et les fenêtres
1971 est l'année où les chercheurs du PARC mettent au point Smalltalk. Ce langage est complété en 1972 et est associé à un environnement fenêtré afin d'éditer des programmes. Smalltalk est un langage orienté objet, sa conception et celle de son environnement d'édition vont influencer l'interface du Xerox Alto. Le langage Smalltalk permet lui même de gérer des fenêtres et des interfaces graphiques. En concevant le langage Smalltalk, les chercheurs ont conçu les briques d'un système de gestion de fenêtres mobiles.
Avec le langage Smalltalk, les chercheurs du PARC vont ainsi mettre au point les bases de l'environnement graphique du Xerox Alto. Chaque élément graphique est implémenté sous forme de classe dans Smalltalk et pose à chaque fois les problèmes de sa gestion dans l'environnement complet. En 1972, le Parc, avec SmallTalk dispose d'un système de gestion de fenêtres sur un écran ainsi que d'un environnement de développement pour faire des applications utilisant ces fenêtres et divers éléments graphiques.
Avec Smalltalk, les chercheurs commencent l'élaboration de plusieurs fonctionnalités avancées. Ils mènent des expériences dans la construction de polices de caractère, élaborent des fonctions de création de dessins et aussi d'animations. Certaines expériences vont même jusqu'à la création de sons. Ces expériences vont mener à la réalisation de logiciels puissants les années suivantes.
1973: le bureau virtuel est né !
C'est en effet à partir de 1973 que le Xerox Alto est doté d'un environnement de travail complet. L'écran représente par défaut un bureau virtuel sur lequel il est possible de cliquer sur des icônes pour effectuer des actions. Les programmes démarrent grâce à un clic sur une icône ou un bouton et se déroulent dans une fenêtre. L'utilisateur a la possibilité de redimensionner les fenêtres, de les déplacer, bref, d'organiser son environnement de travail comme bon lui semble. L'année 1973 est donc l'année où l'on peut dire que l'interface graphique moderne est née.
Nous sommes en 1973, la plupart des ordinateurs de l'époque ne comprennent que le langage des cartes perforées. L'interface du Xerox Alto est la seule à proposer un environnement graphique convivial.
Cependant, les chercheurs ne s'arrêtent pas en si bon chemin et continuent leurs développements. Ils se concentrent sur le développement d'applications ergonomiques dont un logiciel de dessin complet et un éditeur de textes d'un genre nouveau. Dénommé Bravo, Il s'agit d'un éditeur de textes dont la police de caractères affiché à l'écran est celle qui a été sélectionnée par l'utilisateur et donc celle qui est effectivement imprimée sur papier. A une époque où les machines à écrire ne permettent qu'une seule typographie et où la plupart des ordinateurs restent incapables de produire du texte mis en forme, il s'agit d'une véritable révolution.
Afin de vérifier qu'ils ne s'écartent pas de leur objectif final: celui de fournir un ordinateur qui serait utilisable par les non-informaticiens et même les enfants, les chercheurs font tester leur ordinateur par... des jeunes adolescents ! Ils sont certainement les seuls de leur génération à pouvoir dire qu'ils ont joué et dessiné sur un ordinateur, mais leur expérience permet aux chercheurs de valider leurs avancées.
Et après ?
Avec de tels progrès accomplis et un environnement de travail complet dès 1973, on serait en droit d'imaginer que Xerox va commercialiser des ordinateurs basés sur Alto. Dans la pratique, les choses vont être plus compliquées. Cependant, les laboratoires Xerox Parc vont commencer à se faire une réputation et le bureau virtuel va connaître une certaine diffusion, mais nous parlerons de cela la semaine prochaine !
Voir aussi les autres parties:
Le Mac a 25 ans, l'aventure des interfaces graphiques (partie 1) lien
L'aventure des interfaces graphiques (partie 2) lien
L'aventure des interfaces graphiques (partie 3) lien
L'aventure des interfaces graphiques (partie 5) lien
L'aventure des interfaces graphiques (partie 6) lien
L'aventure des interfaces graphiques (partie 7) lien
L'aventure des interfaces graphiques (partie 8) lien
L'aventure des interfaces graphiques (partie 9) lien