L'apparition, il y a environ 300 millions d'années, d'un champignon capable de détruire efficacement le bois pourrait en partie expliquer l'arrêt de la formation de charbon à base de débris végétaux à cette même période. C'est l'une des conclusions d'une étude menée par des chercheurs de l'Inra, du CNRS et des universités de Lorraine et d'Aix-Marseille dans le cadre d'un consortium international. L'étude a permis également de comprendre le processus de dégradation du bois par les champignons contemporains, ce qui devrait fortement intéresser le secteur des bioénergies. Ces résultats font l'objet d'une publication dans la revue Science le 29 juin 2012.
Les champignons saprophytes (capables de se nourrir de matière organique) jouent un rôle majeur dans l'écologie des milieux forestiers: ce sont eux qui décomposent les matières mortes (feuilles, bois, cadavres etc.). Ils permettent ainsi le recyclage du carbone de l'écosystème, élément indispensable au développement des êtres vivants. Parmi les saprophytes, les pourritures blanches, tels que les Polypores, détruisent la lignine aussi bien que la cellulose dans la paroi cellulaire du bois alors que les pourritures brunes, telle que la Mérule pleureuse, décomposent principalement les polysaccharides du bois, c'est-à-dire la cellulose et l'hémicellulose. En agissant de concert, ces champignons décomposeurs du bois (ou xylophages) sont capables de dégrader à la fois la lignine et la cellulose qui constituent le bois mort. Ces champignons "fossoyeurs" sont essentiels pour l'équilibre forestier, en transformant les matières organiques en humus réutilisable par les plantes.
Dans le cadre d'un vaste projet de séquençage d'une trentaine de génomes de champignons saprophytes forestiers piloté par l'Université de Clark et le Joint Genome Institute américain, des chercheurs de l'Inra associés à une équipe du CNRS et de l'université d'Aix-Marseille Université ont analysé la séquence génomique de dizaines d'espèces de pourritures blanches et brunes. En comparant le répertoire de gènes de ces champignons destructeurs de bois, les scientifiques ont pu caractériser les différents mécanismes de dégradation de la lignine et de la cellulose.
Ils ont ensuite pu reconstruire l'arsenal d'enzymes du premier champignon capable de digérer la lignine du bois, qui aurait vécu il y a environ 300 millions d'années. Cette nouveauté biologique a changé la face du monde car en décomposant le bois mort de façon remarquablement efficace, ce champignon et ses descendants ont stoppé l'accumulation du carbone qui avait jusqu'alors permis la formation du charbon. En effet, en l'absence de dégradation de la matière organique du bois, celle-ci se transforme en charbon par fossilisation. La majorité des gisements de charbon se seraient formés pendant la période géologique appelée "Carbonifère", qui a duré environ 60 millions d'années et qui s'est terminée il y a 300 millions d'années – coïncidant avec l'apparition de ce premier champignon xylophage.
Ces résultats apportent également une meilleure compréhension de l'écologie des champignons forestiers en confirmant le lien entre leur niche écologique, leurs traits de vie et leurs répertoires de gènes. Ils aideront à faire avancer les recherches appliquées sur les biocarburants de seconde génération (fabriqués à partir des arbres) puisque la dégradation de la cellulose et de la lignine est une étape importante dans la transformation du bois en biocarburant.
Référence:
Dimitrios Floudas et al. The Paleozoic origin of enzymatic lignin decomposition reconstructed from 31 fungal genomes. Science, 29 juin 2012