En dehors de la Terre, les seules mers connues à ce jour dans le Système solaire sont sur Titan, la plus grande lune de Saturne.
À l'aide de données anciennement collectées par la sonde Cassini, une équipe scientifique internationale, comprenant une chercheuse de l'Observatoire de Paris - PSL, livre un nouvel aperçu de leur composition et de leur rugosité. Les résultats paraissent dans la revue Nature Communications, le 16 juillet 2024.
La grande mer d'hydrocarbures, Ligeia Mare, sur Titan
La mission Cassini (NASA/ESA) a exploré le système saturnien pendant treize ans. En particulier sur Titan, elle a permis de mettre en évidence une fascinante diversité de paysages: des plaines, des montagnes, de grands champs de dunes, des terrains labyrinthiques, des rivières... Et en 2007, elle a révélé, dans l'hémisphère nord, aux régions polaires, l'existence de trois grandes mers d'hydrocarbures liquides - baptisée respectivement Kraken Mare (la plus grande, d'une superficie supérieure à celle de la mer caspienne), Ligeia Mare et
Punga Mare -.
La grande mer d'hydrocarbures, Ligeia Mare, sur Titan Image prise par l'instrument Radar à bord de la sonde Cassini de la NASA montrent l'évolution d'une caractéristique transitoire dans la grande mer d'hydrocarbures, Ligeia Mare, sur Titan. NASACes mers sont accompagnées d'une multitude de lacs, plus petits. L'
exploration au long cours par la mission Cassini a permis de mieux comprendre le système hydrologique complexe de Titan, semblable à celui de la Terre, mais dominé par le
méthane et l'éthane, plutôt que par l'eau, et avec des températures de surface de - 181°C.
Près de sept ans se sont écoulés depuis la fin de la mission Cassini, mais le volume colossal de ses données n'a pas encore été exploité dans son intégralité. De nombreuses questions subsistent, notamment quant aux propriétés du cycle du méthane à l'oeuvre sur Titan, et aux interactions entre ses mers polaires et son atmosphère.
Une équipe scientifique internationale, dirigée par un chercheur de l'
Université de Cornell et comprenant une astrophysicienne de l'Observatoire de Paris - PSL, a analysé un jeu de données recueilli entre 2014 et 2016 par une expérience
radar bistatique menée depuis la mission Cassini.
Lors de ses observations, la sonde Cassini envoyait, grâce à l'antenne habituellement utilisée pour communiquer les données collectées vers la Terre, un signal radio vers Titan. Les surfaces liquides des mers agissaient alors comme un miroir pour réfléchir ce signal vers la Terre. En comparant le signal reçu au signal envoyé, on peut ainsi retrouver les propriétés réfléchissantes (composition et rugosité) des mers de Titan. Cette expérience livre un aperçu de la composition et de la rugosité des mers d'hydrocarbures liquides de Titan, ainsi que pour certains de ses estuaires.
Ces mers présentent des compositions différentes, des courants de marée actifs, des vaguelettes, et une rugosité plus accrue près des estuaires et des détroits interbassins.
Au moment des observations bistatiques, les surfaces de Ligeia Mare, Punga Mare et Kraken Mare étaient pour la plupart lisses, sans perturbations majeures. Les chercheurs ont constaté des variations dans la composition du liquide entre les différentes mers, ce qui correspond à des différences dans le rapport de mélange méthane-éthane.
Les données relatives aux estuaires suggèrent que les rivières riches en méthane peuvent avoir des niveaux d'éthane inférieurs à ceux des mers ouvertes. Comme les précipitations sont principalement composées de méthane, les rivières contiennent peu d'éthane, lequel est transporté et accumulé dans les mers, un peu comme les rivières sur Terre sont composées d'eau douce, et le sel s'accumulant dans les mers.
Les auteurs estiment la rugosité à petite échelle (quelques millimètres) à partir de la diffusion à la surface de la mer, ce qui laisse supposer la présence de petites vagues de surface. Une plus grande rugosité était concentrée dans les zones côtières proches des estuaires et des détroits interbassins, ce qui indique peut-être la présence de courants de marée actifs.
"C'est la première fois qu'on exploite les données radar bistatiques de la mission Cassini, pourtant acquises il y a une dizaine d'années. Au-delà de ses nouvelles conclusions scientifiques, cette étude témoigne aussi des belles découvertes réalisables avec la multitude de données encore inexploitées des missions spatiales passées. Étant donné les problèmes écologiques auxquels fait face la société aujourd'hui, il est urgent de diminuer le nombre de nouvelles missions spatiales, et de regarder enfin les données qu'on a déjà.", souligne Léa Bonnefoy, coautrice et post-doctorante à l'Observatoire de Paris - PSL au moment de cette étude, soucieuse de l'impact carbone des moyens instrumentaux dédiés à l'astronomie.
Référence:
Article intitulé "
Surface properties of the seas of Titan as revealed by Cassini mission bistatic radar experiments", par Valerio Poggiali (Cornell University) et all, paru le 16 juillet 2024, dans Nature Communications.