Donner, c'est engager un mécanisme social !

Publié par Adrien le 09/03/2016 à 00:00
Source: Mathieu-Robert Sauvé - Université de Montréal
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Phénomène commun à toutes les sociétés et à toutes les époques, le don appelle ce que Marcel Mauss appelle un "contre-don". On dit aussi rendre la politesse. (Photo: Thinkstock.)
Voilà résumé un concept clé de l'Essai sur le don, de Marcel Mauss (1872-1950), un des pères de la sociologie française. "Le don est un échange. Plus spécifiquement un échange différé. Il vous engage dans un mécanisme social.

Celui qui reçoit signe une dette; pour s'en défaire, il devra donner à son tour", signale Marcel Fournier, professeur au Département de sociologie de l'Université de Montréal et auteur d'une biographie monumentale de Mauss parue chez Fayard en 1994.

Le don renvoie à ce que le sociologue français a appelé "contre-don", un principe évoqué en 1925 et toujours d'actualité. Il s'appliquait dans les sociétés primitives que Mauss a étudiées, notamment chez les Amérindiens pratiquant le potlatch, un rituel qui consistait à donner jusqu'à être dépossédé littéralement de ses moyens de subsistance.

C'est encore vrai au 21e siècle, alors que M. et Mme Tout-le-monde sont sollicités de toutes parts : dans la rue par le mendiant qui tend la main, au bureau par l'entremise de collectes. Les porte-parole de bonnes causes vous appellent, vous écrivent, organisent des téléthons... En échange, vous verrez votre nom sur une liste de bienfaiteurs, vous recevrez un reçu officiel ou, plus modestement, vous soulagerez votre conscience.

S'il existe en 2016 d'authentiques donateurs anonymes prêts à soutenir des causes sans rien attendre en retour, la grande majorité des dons appellent des contre-dons... "On le voit dans les fêtes de Noël, où les gens calculent la valeur des cadeaux échangés", illustre Marcel Fournier.

Fait social total

L'Essai sur le don a lancé un champ de recherche qui est alimenté de nos jours par des intellectuels français, américains et québécois. La redistribution de la richesse collective peut être considérée comme une forme de philanthropie. "Un contribuable peut se demander pourquoi il contribue à l'assurance emploi s'il n'est jamais au chômage. Même chose pour l'assurance maladie s'il n'est jamais malade. La cohésion d'une société trouve appui sur une série d'imbrications et implique un ensemble d'échanges entre individus et groupes. La réciprocité, directe et indirecte, est à la base de la vie sociale, hier comme aujourd'hui", mentionne Marcel Fournier.

Le don caractérise toutes les sociétés humaines, passées et présentes, selon Marcel Mauss. C'est ce qu'il appelle un "fait social total", soit un évènement qui "met en branle la totalité de la société et de ses institutions" et qui a des répercussions juridiques, économiques, religieuses et même esthétiques. Mais la forme actuelle du don est parfois très complexe.

Donner ses organes ou son oeuvre

La transplantation d'organes, par exemple, soulève des questions inédites. Depuis que la médecine permet ce type d'intervention, une pression s'exerce sur l'entourage des patients en attente d'une greffe. Si vous êtes le seul de la famille à pouvoir donner un rein à un proche atteint d'insuffisance rénale, votre consentement sera-t-il vraiment libre ? "Donneriez-vous votre coeur ou un rein à un pédophile ? La plupart des gens hésiteraient", commente M. Fournier.

Autre exemple : certaines religions considèrent le cadavre comme un objet sacré, inviolable. Doit-on refuser aux fidèles l'accès aux organes disponibles ? Au Japon, un autre problème se pose : selon la culture traditionnelle, le corps de la personne décédée doit demeurer intact. Le pays reconnaît néanmoins le don d'organes depuis 1997. Mais les prélèvements d'organes sur un donneur vivant restent rarissimes et plusieurs malades vont aller aux États-Unis pour recevoir l'organe attendu.

Le milieu de l'art fournit une autre illustration de la complexité du don. Marcel Fournier a beaucoup étudié le don d'oeuvres d'art. La richesse des collections du Musée d'art contemporain de Montréal et du Musée des beaux-arts de Mon-tréal est largement attribuable à la générosité des donateurs, qu'il s'agisse de collectionneurs, de fondations ou d'artistes. Encore là, M. Fournier note que, outre l'avantage fiscal que son geste lui procure, le donateur verra son nom associé à l'oeuvre, ce qui constitue une reconnaissance ou un contre-don.

Il arrive aussi que le don soit mal reçu. "S'il y a une chose que détestent les responsables, directeurs et conservateurs de musée, ce sont les dons que veulent faire les membres de la famille et en particulier les conjoints au moment du décès d'un artiste. Tout se passe comme s'ils voulaient rendre hommage au défunt en tirant profit de l'occasion pour vider l'atelier", écrit Marcel Fournier, lui-même un passionné d'art, dans un texte tiré d'une conférence récente. Il reste que toute décision concernant l'entrée d'une oeuvre d'art dans un musée est liée à un processus complexe d'approbation sur la valeur de l'oeuvre.
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