Himalaya, que s'est-il passé lors de la collision Inde-Asie ?

Publié par Michel,
Source: CNRS / INSU
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Depuis les années soixante dix, les spécialistes attribuent l'origine de la chaîne Himalayenne à la collision entre l'Inde et l'Eurasie, toute fois, les modalités précises de la formation de l'Himalaya sont encore sujettes à débat. S'agit-il d'un empilement d'écailles continentales ou de l'expulsion de roches partiellement fondues? Des travaux publiés dans les revues Earth and Planetary Science Letters et Tectonics portants sur l'analyse des roches du massif de l'Ama Drime, au sud du Tibet, par une équipe de chercheurs de l'INSU-CNRS (Laboratoire des Sciences de la Terre de Lyon, Institut de Physique du Globe de Strasbourg, Géosciences Montpellier) et de l'Institut de Géologie et de l'Académie des Sciences de Chine (Pekin), confirme le modèle d'écailles continentales.

L'Himalaya et le Tibet constituent le plus haut et le plus vaste ensemble de montagnes à la surface de la Terre. Cet ensemble concentre la totalité de ses sommets culminant à plus de 8 000 m, et sur une surface de plus de 2,5 millions de kilomètres carrés l'altitude y est supérieure à 4 000m. La formation de ces hauts-reliefs est attribuée à la rencontre et la collision depuis environ 50 millions d'années des plaques continentales Indienne et Eurasiatique. L'histoire débute il y a plus de 120 Millions d'années (Ma) par le début du rapprochement des deux plaques. Après la disparition de la partie océanique de la plaque indienne par subduction sous l'Eurasie, sa partie continentale, moins dense, s'enfonce beaucoup plus difficilement. La collision se produit alors, responsable de l'épaississement des deux croûtes continentales (Indienne et Eurasienne) et de la création de reliefs. Mais dans le détail, quels sont les processus qui expliquent la remontée de roches profondes et la formation de très hauts reliefs ?


1 - Coupe schématique de l'Himalaya avec les trajets comparés de gneiss inférieurs du haut Himalaya
pour les deux hypothèses testées.
Bleu: allure du trajet dans l'hypothèse d'un chenal de faible viscosité.
Rouge: prisme orogénique.
Dans les deux cas la remontée finale est due au jeu des failles normales qui bordent le massif
(MCT et STD devenus inactifs).
Crédit: © E. Kali et al. 2010

De nombreux géologues ont décrit la haute chaîne Himalayenne comme un empilement d'écailles de la bordure nord de la croûte continentale indienne (modèle de prisme orogénique). Les écailles sont limitées à leur base par des failles chevauchantes dont le Main Central Thrust (ou MCT) et à leur sommet par une grande faille normale appelée South Tibet Detachment (ou STD).

Cependant, depuis une dizaine d'années il a été proposé, notamment sur la base de modèles numériques et d'images géophysiques, que la haute chaîne Himalayenne corresponde en fait à de la croûte moyenne (30-50 km de profondeur) expulsée vers le sud dans un chenal de faible viscosité depuis sous le Tibet. Ce flux de croûte aurait été rendu possible par la fusion partielle de la croûte, et l'existence d'un Tibet plus haut que l'Himalaya, il y a 40 Ma, qui aurait, en quelque sorte, appuyé sur l'ensemble. Le flux aurait été amplifié par la très forte érosion sur les flancs de l'Himalaya, qui "aspirerait" les roches profondes.


2 - Carte géologique simplifiée de la région de l'Ama Drime représentée sur la topographie en 3 dimensions.
Vue vers le Sud Est depuis un point au dessus du plateau tibétain.
Les failles indiquées en rouge sont les failles normales qui ont accommodé la remontée finale du massif.
Voir fig. 1 pour le code couleur.
Crédit: © Leloup et al. 2010

Ce nouveau modèle a fait l'objet de nombreuses controverses, mais il reste très difficile à tester à partir de données géologiques, celles-ci étant limitées aux roches affleurant aujourd'hui dans la haute chaîne Himalayenne, les roches situées en profondeur sous la surface du Tibet étant inaccessibles. Heureusement pour les chercheurs en quête de résoudre l'énigme, les roches du massif de l'Ama Drime situé au sud du Tibet sont une exception à cette règle. Elles ont été exhumées récemment par le jeu de deux failles (failles normales) ayant ouvert une fenêtre sur la croûte profonde de l'Himalaya, 80 km au nord de la haute chaîne. Cette exception a donc été mise à profit par l'équipe franco-chinoise pour tenter de départager les modèles proposés.


3 - Diagramme montrant l'évolution au cours du temps des conditions de pression (P, GPa) et température (T, °C)
des roches de l'Ama Drime. Les dates clés déduites de la géochronologie sont indiquées.
Crédit: © Leloup et al. 2010

Ces chercheurs ont, d'une part, étudié les structures géologiques sur le terrain et, d'autre part, analysé la composition minéralogique et daté par les méthodes Uranium-Plomb, Argon-Argon, Uranium-Thorium-Hélium (U/Pb, Ar/Ar, (U-Th)/He) les roches du massif de l'Ama Drime. Ces données leurs permettent de reconstituer l'évolution simultanée des pression, température et déformation du massif au cours du temps (Fig. 3). Ainsi, l'ensemble du massif a atteint des pressions de ~1,6 GPa, correspondant à des profondeurs de ~60 km, avant d'être affecté par une fusion partielle à partir de 33 Ma, puis de remonter jusqu'à ~15 km de profondeur, il y a environ 12 Ma. Lors de leur remontée les roches ont gardé leur cohérence comme l'indiquent des niveaux continus sur plusieurs kilomètres de long, riches en un minéral particulier, l'amphibole (Fig. 4). Les 15 derniers kilomètres d'exhumation ont été provoqués depuis 12 Ma par le jeu des failles normales, encore actives aujourd'hui, qui bordent le massif.


4 - Falaise de ~400 m de haut entaillée dans les roches de l'Ama Drime.
Les niveaux amphibolitiques - très sombres - sont continus et plissés.
Crédit: © Leloup et al. 2010

Dans le cas d'un modèle de superposition d'écailles continentales (prisme orogénique), et dans celui d'une expulsion de roches dans un chenal, le trajet suivi par les roches et l'évolution des températures et des pressions qu'elles subissent sont différentes. Ceci permet aux auteurs de conforter le modèle du prisme orogénique où les roches sont enfouies à grande profondeur avant d'être exhumées (trajet bleu, Fig. 1), plutôt que celui d'un chenal dans la croûte, où les roches se déplacent horizontalement (trajet rouge, Fig. 1).

D'autre part, dans le premier cas, la dynamique du système dépend intimement des conditions de la convergence Inde-Asie qui peuvent varier brutalement, alors que dans le deuxième, les paramètres guidant le système (énergie potentielle, structure thermique) évoluent lentement. Or, dans un autre article publié récemment dans la revue Earth and Planetary Science Letters, les mêmes chercheurs montrent que la date de 12 Ma semble être une date clé dans l'histoire de la collision. Elle correspond à la fois: à un changement dans la direction de convergence entre l'Inde et l'Asie ; à l'arrêt presque synchrone sur au moins 1000 km de long du South Tibet Detachment (STD) ; à un changement de la direction d'extension dans tout le Sud Tibet (de NNE-SSW à E-W) ; à l'arrêt du Main Central Thrust (MCT) relayé par l'activation d'un nouveau chevauchement plus externe, le Main Boundary Thrust (MBT, Fig. 1).

Pour les auteurs, le modèle de prisme orogénique permet donc mieux d'expliquer les données acquises récemment, même si le fonctionnement détaillé de ce prisme reste encore à préciser.
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