Jouer au poker en ligne le soir ou la nuit: un pari risqué

S'adonner au poker en ligne en fin de soirée ou pendant la nuit peut avoir des répercussions sur le contrôle des émotions et des comportements pendant la partie et une incidence sur la qualité du sommeil dans les heures qui suivent. C'est ce que révèle une étude exploratoire menée par une équipe de l'École de psychologie et du Centre québécois d'excellence pour la prévention et le traitement du jeu de l'Université Laval.

"Nos travaux visaient à trouver réponse à deux questions, rappelle le premier auteur de l'étude, Alexandre Hamel. Nous voulions savoir si les émotions, les cognitions et les comportements de joueurs pendant une partie de poker en ligne pouvaient être affectés par la privation de sommeil. D'autre part, nous voulions savoir si le fait de s'adonner au poker en ligne peu avant le coucher pouvait affecter la qualité du sommeil de la nuit subséquente."


Pour trouver réponse à ces questions, les chercheurs ont reçu le concours de 23 habitués du poker en ligne. Pendant la durée de l'étude, les participants ont accepté de tenir un agenda de sommeil, de fournir les fichiers de toutes les mains qu'ils avaient jouées et de répondre à divers questionnaires dont l'un portait sur le tilt. "Le tilt est une perte de contrôle temporaire du joueur de poker sur ses émotions, ses comportements ou ses pensées, explique Alexandre Hamel. Sur le plan émotif, le tilt s'exprime par un sentiment de perte de contrôle, des pensées négatives, de l'impatience, de la frustration ou de la colère envers soi-même, envers le jeu ou envers les autres joueurs. Sur le plan comportemental, le joueur s'énerve, clique plus fort sur sa souris, lance des objets, prend plus de risques ou a du mal à s'arrêter de jouer. Sur le plan cognitif, le joueur est moins concentré se sent dissocié ou sent que ses décisions ne sont plus rationnelles. En deux mots, le tilt sort le joueur de sa stratégie de jeu."

Les données fournies par les participants ont permis aux chercheurs de comparer le score de tilt au cours de 119 séances de poker jouées en situation de privation de sommeil (au moins 16 heures s'étaient écoulées depuis le réveil) à celui observé au cours de 479 séances disputées sans privation de sommeil. Les résultats, qui viennent de paraître dans la revue Frontiers in Psychiatry, montrent qu'en situation de privation de sommeil, le score de tilt émotionnel et comportemental est plus élevé, le nombre de mains jouées est plus grand et le bilan des gains et des pertes en souffre. Ces différences pour le tilt émotionnel et comportemental sont plus marquées lorsque le joueur consomme de l'alcool pendant la séance.

Par ailleurs, le fait de jouer moins de 120 minutes avant d'aller au lit n'affecterait pas directement la qualité du sommeil. Par contre, un score élevé de tilt est associé à une réduction du nombre total d'heures de sommeil et à une diminution de l'efficacité du sommeil (heures dormies/heures passées au lit) la nuit subséquente.

Que faut-il conclure de tout ça ? "Jouer au poker en ligne alors qu'on devrait dormir comporte certains risques, commente Alexandre Hamel. La privation de sommeil peut affecter la régulation émotionnelle du joueur et favoriser la perte de contrôle. Le tilt quant à lui peut affecter la qualité du sommeil. Je déconseille le poker en ligne à des heures tardives, surtout aux personnes qui doivent être concentrées et performantes le lendemain. Lorsque les joueurs fatigués perdent le contrôle sur les émotions et leurs comportements, ils jouent moins bien, ils ont moins de plaisir et des habitudes de jeu plus risquées peuvent s'installer. Le jeu doit rester un jeu."

L'article publié dans Frontiers in Psychiatry est signé par Alexandre Hamel, Célyne Bastien, Christian Jacques et Isabelle Giroux, de l'Université Laval, et Axelle Moreau, du CIUSSS du Centre-Sud-de-l'île-de-Montréal.