Dans le cadre d'une étude d'imagerie sismologique des Pyrénées (programme ANR PYROPE) utilisant des sismomètres large bande, une équipe franco espagnole a mis au point une nouvelle méthode utilisant l'énergie des marées pour identifier les différentes sources à l'origine du bruit microsismique enregistré sur la bordure atlantique. Le bruit sismique est utilisé depuis quelques années pour l'imagerie de la Terre en profondeur (tomographie) ou la surveillance de l'activité des failles et des volcans. Mieux discriminer les sources du bruit microsismique, devrait permettre d'améliorer la précision de ces techniques d'imagerie et de surveillance. Cette étude est publiée dans la revue Geophysical Research Letters.
À la mémoire d'Olivier Quillard qui a installé et maintenu les stations PYROPE.
Depuis le déploiement des premiers sismomètres, au début du 20ème siècle, l'activité océanique est connue pour être responsable d'un signal parasite appelé le "bruit microsismique", le plus gênant pour les sismologues se situant entre 2 et 20s de période. Enregistré partout sur Terre, des côtes jusqu'au milieu des plus grands continents, le bruit microsismique est très fort entre 2 et 10s de période. Ce "second pic microsismique" est dû à l'interaction constructive de deux systèmes de houle se propageant l'un vers l'autre ; les variations de hauteur d'eau entraînent alors des variations de pression sur le fond des océans, qui se convertissent en ondes sismiques, se propageant à chaque instant dans la planète, aussi bien en plein océan lors de tempêtes que par la réflexion de la houle sur les côtes.
En raison de l'utilisation récente du bruit sismique pour l'imagerie des structures profondes de la croûte et de la lithosphère terrestre ainsi que pour le suivi de l'activité des failles ou des volcans, plusieurs études se sont intéressées ces dernières années à mieux préciser les sources du bruit microsismique. Bien que la génération par la houle de ces microséismes en pleine mer soit largement acceptée, de nombreuses études récentes montrent que le "second pic microsismique", enregistré par les sismomètres à l'intérieur des terres, ne proviendrait quasiment que des interactions de la houle avec les côtes, en eaux peu profondes. Les multiples scenario possibles d'existence simultanée ou non de ces deux types de sources, et leur poids respectif, rend leur discrimination délicate avec des méthodes d'analyse classiques.
La méthode utilisée par les auteurs prend en compte l'énergie des marées. Profitant du déploiement de sismomètres large-bande (enregistrant le signal sismique dans une large gamme de fréquences) dans le cadre du projet ANR PYROPE, deux des stations installées par le Laboratoire de Planétologie et Géodynamique de Nantes ont été déployées à moins de 150 m du rivage. Ces installations peu communes ont révélé que les marées lunisolaires (combinaison des marées lunaires et solaires), particulièrement importantes sur la côte atlantique, modulent fortement l'énergie microsismique, sauf dans une fenêtre spectrale située entre 2 et 5s de période où ces modulations dues aux marées n'existe pas. Ce phénomène, observé pour la première fois dans cette gamme de période ne peut s'expliquer que par le fait qu'une forte énergie sismique en provenance de l'océan profond masque les incessantes oscillations dues à la marée. Pour le démontrer les auteurs ont comparé des données acquises avec ou sans tempête dans l'Océan Atlantique Nord. Ainsi, grâce à la marée (utilisée ici comme signature associée à un phénomène côtier) ils ont pu séparer pour la première fois, sans ambiguïté, les microséismes générés sur les côtes de ceux générés dans l'océan profond et montrer par là même que les côtes et l'océan profond pouvait contribuer ensemble au bruit microsismique.
Les applications potentielles de ce travail concernent plusieurs thématiques:
- Pour certaines modélisations numériques de conversion de l'énergie de la houle en énergie sismique, les coefficients de réflexion à la côte sont imposés sans pouvoir être mesurés. Les oscillations d'énergie liées aux marées peuvent permettre de mieux les déterminer.
- Les méthodes actuelles d'imagerie sismique obtenues par l'utilisation du bruit de fond (tomographies par corrélation de bruit) supposent que le bruit est uniformément réparti, cette étude révélant que les sources de bruit de courte période, ne viennent pas des côtes mais plutôt de l'océan profond, devrait permettre d'adapter les traitements de données.
- De même, dans les cas où certains paramètres physiques (au voisinage de failles ou au-dessus des volcans) sont suivis par corrélation de bruit, il sera possible de séparer une variation du paramètre d'une éventuelle contamination par une variation de la source (tempête, par exemple).
- Enfin, si on peut déterminer qu'entre 2 et 5s de période, les microséismes, enregistrés en plusieurs endroits, viennent effectivement de l'océan profond, cette étude peut permettre de mieux contraindre l'activité océanique passée. Les sismomètres installés depuis parfois plus de 40 ans gardent dans leurs enregistrements, la trace des tempêtes et autres événements climatiques importants, à l'époque où il n'y avait pas de satellite. En reprenant ces données, on peut ainsi espérer apporter des nouvelles données dans les archives climatiques.