À droite, Christian Baron, accompagné de l'agent de recherche Benoit Bessette.
Voilà une découverte qui arrive à point. Au moment où l'espèce humaine est confrontée à de superbactéries résistantes aux antibiotiques, l'équipe de recherche du professeur Christian Baron, directeur du Département de biochimie de l'Université de Montréal, vient de découvrir une nouvelle façon de les combattre. Au lieu de tuer la bactérie comme le font les antibiotiques, le procédé désamorce le système de sécrétion par lequel la bactérie infecte les cellules de son hôte. Une fois désarmée, l'intruse peut être éliminée par le système immunitaire.
"Les antibiotiques classiques tuent les bactéries en s'attaquant à l'une ou l'autre de leurs composantes vitales qu'ils intoxiquent, explique le chercheur. Ça fonctionne, mais il y en a toujours qui survivent parce qu'elles possèdent des défenses biologiques leur permettant de résister à cette attaque. L'antibiotique crée donc une forte pression de sélection qui favorise ces bactéries résistantes."
Course à l'armement
Les premières bactéries résistantes aux antibiotiques sont apparues dès les années 50, soit quelques années à peine après les premiers usages médicinaux de la pénicilline et d'autres antibiotiques.
Devant ce phénomène, il faut soit augmenter les doses, soit modifier la composition chimique de l'antibiotique pour l'adapter à la nouvelle génération de bactéries. Parmi ces nouvelles générations, il s'en trouvera qui possèderont les défenses pour survivre, ce qui nous entraine dans une spirale sans fin. Mais cette course à l'armement a ses limites.
"Nous en sommes à la cinquième génération de pénicilline et il est très difficile de continuer à procéder ainsi, affirme Christian Baron. Certaines superbactéries résistent à tout ce que nous avons produit jusqu'ici."
Le gonocoque qui cause la gonorrhée, par exemple, résiste à quatre types d'antibiotiques. Le nombre de cas résistants à la ciprofloxacine, la principale thérapie médicamenteuse utilisée contre cette ITS, a augmenté de 200 % au cours de la dernière décennie, rapporte Santé Canada. L'an passé, les milieux de la santé signalaient une nouvelle souche de gonocoque qui résiste à tout ce que l'on connait !
Nouvelle stratégie: le désarmement
L'équipe du professeur Baron a découvert une molécule qui cible l'une des protéines d'assemblage de la "seringue" par laquelle la bactérie pathogène intoxique la cellule et qu'on trouve en plusieurs exemplaires sur la membrane de la bactérie (voir l'illustration ci-dessous). L'élimination de cette pièce essentielle (soit la protéine VirB8) neutralise ainsi le facteur de virulence de la bactérie et la rend inoffensive.
Ce mécanisme d'intoxication, appelé système de sécrétion de type IV, existe chez plusieurs familles de bactéries, mais n'est vital que pour les bactéries pathogènes. Une thérapie médicamenteuse qui viserait cette cible permettrait donc de préserver les milliards de bactéries utiles, comme celles nécessaires à notre digestion, ou encore celles qui sont inoffensives. "La bactérie désarmée peut ensuite être facilement éliminée par le système immunitaire", précise le chercheur.
Toutes les bactéries pathogènes n'utilisent toutefois pas un tel système de sécrétion, mais au moins une dizaine pourraient être neutralisées par cette approche.
Christian Baron a réalisé ses travaux in vitro à partir de la bactérie Brucella, qui cause la brucellose ou fièvre ondulante. Il s'agit d'une zoonose, donc d'une maladie transmise aux personnes par les animaux. Selon Santé Canada, cette bactérie serait éradiquée des milieux d'élevage, mais subsiste chez certains animaux sauvages comme le bison et le caribou.
Plus menaçante, la Legionella, qui se cache dans les tours de refroidissement, possède elle aussi un système de sécrétion de type IV. Fait également partie de cette famille Helicobacter pylori, responsable de la gastrite, des ulcères du duodénum et éventuellement du cancer de l'estomac et de la maladie de Parkinson. D'autres bactéries, telles que Agrobacterium, s'attaquent aux racines des végétaux et provoquent la galle.
Mais n'est-il pas à craindre que les bactéries finissent de nouveau par résister à cette nouvelle arme ? "Étant donné que la bactérie n'est pas tuée mais seulement rendue inoffensive, la pression de sélection est moins grande, déclare Christian Baron. Si la résistance se développe, ce sera de façon beaucoup plus lente que ce qu'on a vu avec les antibiotiques classiques. Un médicament conçu selon ce modèle pourrait en outre être employé avec d'autres thérapies telle la trithérapie contre le VIH."
Le professeur Baron en est pour l'instant à faire connaitre son modèle à la communauté scientifique, modèle qui devra être soumis à l'épreuve des essais cliniques. Ces travaux ont fait l'objet d'une publication dans le numéro du 24 aout de la revue Chemistry & Biology.