Equipés d'un laser ultramoderne, des chercheurs survolent le littoral du Nord-Ouest pour prévoir les modifications dues au changement climatique. Prochaine étape: la baie du Mont-Saint-Michel. Au-dessus des côtes de la Manche, un avion bimoteur au comportement bizarre passe et repasse, sans que l'on puisse entrevoir son but. Ce n'est ni un apprenti pilote qui fait ses heures ni une campagne publicitaire destinée aux vacanciers. A son bord, des ingénieurs criblent le sol d'impulsions laser. Leur objectif: réaliser le relevé topographique le plus précis et dense des côtes nord-ouest de la France. Nous assistons aux premières missions effectuées dans le cadre du projet "Contrôle par laser aéroporté des risques environnementaux côtiers" (Clarec), qui implique trois unités mixtes du CNRS, les quatre régions qui se partagent la façade Manche-mer du Nord (Haute et Basse-Normandie, Picardie, et Nord-Pas-de-Calais) ainsi que leurs universités. En ce mois de septembre, c'est le Mont-Saint-Michel que s'apprêtent à survoler nos scientifiques.
Le Lidar, laser à balayage latéral aéroporté, est un instrument hors du commun dont il n'existe qu'une poignée d'exemplaires en France.
Nous le savons: nous n'échapperons pas au réchauffement global. Celui-ci entraînera des tempêtes, des précipitations hivernales et des crues plus intenses, ainsi qu'une élévation du niveau de la mer. Les zones littorales seront particulièrement exposées à ces menaces. "Pour pallier les conséquences du changement climatique, nous devons effectuer un lourd travail de modélisation. Nous devons être capables de prévoir l'évolution des caractéristiques physiques des milieux littoraux", explique Frank Levoy, chercheur au Laboratoire M2C. "Or, globalement, notre connaissance de la topographie des zones côtières est médiocre, et sans cette donnée de base, on ne peut pas faire de prévisions sérieuses."
Là est la raison d'être du projet Clarec. Celui-ci repose sur un instrument hors du commun: le laser à balayage latéral aéroporté, appelé aussi Lidar. Ce petit bijou de technologie, aussi rare que coûteux, permet de faire des relevés du relief avec une précision de 10 centimètres sur sol nu. Le Lidar mesure la distance entre le sol et l'avion jusqu'à 200 000 fois par seconde. En couplant cet appareil à des GPS au sol et embarqués dans l'avion, les chercheurs obtiennent un relevé topographique extrêmement dense, allant jusqu'à 5 points par mètre carré. "C'est une technologie très complexe, qui demande la mise en œuvre d'une douzaine de logiciels différents, des équipes au sol et des conditions météo excellentes. Mais, outre sa précision, elle permet de couvrir des surfaces très larges, jusqu'à 100 km2, en une seule sortie", affirme Patrice Bretel, chef de projet. Point fondamental: l'efficacité hors pair du Lidar permettra de refaire les relevés régulièrement sur les mêmes zones côtières. Les chercheurs pourront alors observer les évolutions du relief qui sont en cours sur notre littoral, afin de mieux prévoir leur futur.
Autour du Lidar, s'est également constitué un groupement d'intérêt scientifique (GIS), associant les partenaires du projet, qui s'attaquera à des problématiques très variées. Citons par exemple celle du recul du trait de côte: "Sur le littoral de la Haute et Basse-Normandie, la côte peut perdre 5 mètres par an à certains endroits. Lors d'une tempête, le phénomène peut s'amplifier et atteindre 15 mètres en 2 jours. Ce phénomène pourrait finir par affecter des zones habitées ou des infrastructures", explique Franck Levoy. Il est donc urgent pour les scientifiques de bien comprendre le processus, et de savoir pourquoi certaines zones sont touchées tandis que d'autres semblent épargnées.
Autre entreprise que le Lidar permettra de réaliser: une cartographie des zones à risques sur tout le littoral, de la baie du Mont-Saint-Michel à la frontière belge, qui révélera les lieux les plus exposés aux diverses menaces liées aux aléas climatiques. Mais des projets plus circonscrits pourront aussi recevoir l'aide précieuse du laser aéroporté. Par exemple, l'immense chantier de restauration du caractère maritime du Mont-Saint-Michel, qui rétablira les marées cernant le rocher, comme elles le faisaient jadis. Grâce au Lidar, les chercheurs pourront suivre les évolutions topographiques – comme l'érosion des fonds sédimentaires –, liées à ce chantier, et conseiller le syndicat en charge du projet.
Le projet Clarec, lui, est l'aboutissement d'un très long travail initié par les chercheurs du M2C, et en particulier par Franck Levoy, son coordinateur, avec le soutien de Stéphane Costa, du LETG, à Caen, et Edward Anthony, du laboratoire "Océanologie et géosciences", à Wimereux. Il leur aura fallu quatre ans de démarches avant de pouvoir acquérir le Lidar. Pour donner une idée de l'effort, soulignons que l'accord-cadre ayant donné naissance au projet Clarec et lancé l'investissement nécessaire (de l'ordre de 1,3 million d'euros) ne réunit pas moins de vingt signatures au bas de la page. Vingt signatures qui ont permis aux régions côtières de la Manche et de la mer du Nord d'initier les recherches scientifiques à la base des prochaines politiques de prévention et de protection.