Selon l'étude de Mme Apinis-Deshaies, les athlètes gèrent différemment les exigences de leur sport selon le type de passion qu'ils éprouvent pour leur discipline sportive. (Photo: Thinkstock)
Laurent est un cycliste de haut niveau. Tous les matins, il pédale jusqu'à l'université. Même en hiver ! Les fins de semaine, il peut parcourir jusqu'à 250 kilomètres. Sa vie n'a pas de sens sans cette activité qui occupe tout son temps. Il se sent d'ailleurs coupable de ne penser qu'à ça.
Marie est aussi une sportive assidue. Sa discipline: la natation. Elle s'entraîne quatre fois par semaine et fait régulièrement des compétitions, mais son estime de soi ne dépend pas du nombre de médailles qu'elle remporte. Elle a aussi d'autres loisirs afin d'avoir une vie équilibrée.
Laurent et Marie sont des passionnés bien différents: le premier est "obsessif" et la seconde "harmonieuse". Cette différence expliquerait en partie pourquoi certains athlètes sont plus touchés que d'autres par l'épuisement sportif, selon Amélie Apinis-Deshaies, qui a réalisé une étude sur le sujet dans sa maîtrise en sciences de l'activité physique dirigée par Wayne Halliwell, professeur au Département de kinésiologie de l'Université de Montréal.
Amélie Apinis-Deshaies
"J'ai voulu examiner la relation entre le type de passion que les athlètes entretiennent pour leur sport et les stratégies de coping qu'ils utilisent." Ce que la chercheuse entend par coping (mot anglais signifiant "faire face à" ou "adaptation"), c'est l'ensemble des efforts cognitifs et comportementaux déployés par l'athlète pour maîtriser et réduire les situations stressantes. "Les stratégies dépendent de l'évaluation qu'il effectue de la source de stress, explique-t-elle. Par exemple, la situation est-elle une menace, un défi ou un préjudice ? Les actions de l'athlète varient quant à elles grandement en fonction de sa capacité à croire ou non qu'il possède les ressources nécessaires pour affronter la situation."
Les étudiants-athlètes emploient-ils des stratégies différentes selon qu'ils sont passionnés harmonieux ou obsessifs ? Existe-t-il une différence entre ces deux types d'athlètes quant aux symptômes de l'épuisement sportif ? Pour répondre à ces questions, Amélie Apinis-Deshaies a demandé à 75 étudiants-athlètes de l'UdeM (39 de sexe féminin et 36 de sexe masculin) dont l'âge moyen était de 21,5 ans de remplir quatre questionnaires dans le but de cerner le lien interactionnel entre les concepts de passion, de coping et d'épuisement sportif. Cette perspective n'avait jamais été étudiée auparavant auprès d'athlètes de haut niveau en mettant en relation leur type de passion et leurs stratégies à l'oeuvre en situation de compétition.
D'après les réponses fournies par les participants issus de trois équipes sportives des Carabins (natation, rugby masculin et rugby féminin) qui pratiquaient leur sport à raison de 14,28 heures par semaine en moyenne au moment de l'étude, 40 d'entre eux étaient considérés comme des sportifs passionnés harmonieux et 34 étaient des obsessifs. L'étude confirme que les athlètes gèrent différemment les exigences de leur sport selon le type de passion qu'ils éprouvent pour leur discipline sportive.
Désengagement = plus de symptômes d'épuisement
Frédérique Crête, de l'équipe de rugby féminin, dont des membres ont participé à l'étude de Mme Apinis-Deshaies. (Photo: James Hajjar)
Dans le domaine sportif, la passion joue un grand rôle au chapitre de la performance. C'est connu, il n'y a pas de médaille olympique sans sacrifices ! Mais les compétitions peuvent causer du stress chez les athlètes, qui ne possèdent pas tous les mêmes habiletés pour y faire face. "L'inhabileté à gérer le stress est un facteur significatif d'échec chez les athlètes quand vient le temps de fournir un rendement élevé. Ce qui différencie les athlètes persévérants dans leur carrière et ceux qui ressentent un épuisement sportif, ce sont surtout leurs qualités psychologiques et les stratégies de coping qu'ils adoptent pour contrer ce stress", affirme Amélie Apinis-Deshaies.
Les auteurs distinguent plusieurs dimensions de l'adaptation, dont les stratégies centrées sur la tâche, celles axées sur les émotions, ainsi que celles orientées sur la distraction et l'évitement, souligne la chercheuse. "De façon générale, les stratégies centrées sur la tâche et les émotions telles que l'augmentation de l'effort, la planification, l'analyse logique de même que l'acceptation, l'humour et la ventilation des émotions négatives mènent à des résultats plus positifs en situation de stress. Par contre, les actions entreprises pour se désengager engendrent une réduction des efforts et conduisent, parfois, à l'utilisation d'alcool, de drogue ou encore au déni et au rêve."
Comme la chercheuse s'y attendait, le plaisir ressenti en pratiquant un sport à un haut niveau et les stratégies d'adaptation utilisées varient selon le type d'athlète. Ceux qui sont "harmonieux" font plus d'efforts et tentent davantage de dominer leurs pensées, alors que les "obsessifs" ont plus souvent recours au désengagement. Les athlètes obsessifs souffrent par ailleurs de plus de symptômes d'épuisement. "Tous les étudiants-athlètes de l'échantillon se sentaient modérément épuisés, indique Amélie Apinis-Deshaies, mais pour remédier à ce problème les athlètes harmonieux utilisaient un coping centré sur la tâche. Les athlètes obsessifs, eux, se tournaient plus souvent vers le désengagement."
L'analyse de ses données con firme que les stratégies d'adaptation peuvent avoir un effet sur la performance des athlètes, les stratégies orientées vers la tâche étant positivement associée à l'atteinte des objectifs. Son étude démontre en outre que les étudiants-athlètes qui recourent fréquemment au désengagement et rarement à la maîtrise de la pensée présentent plus de symptômes d'épuisement comme de la fatigue et une diminution du sentiment d'accomplissement.
De Descartes à Halliwell
Grand mystère depuis la nuit des temps, les passions humaines ont intrigué Hegel, Descartes et Rousseau, qui ont tous écrit sur le sujet. Dans les universités, plusieurs chercheurs s'intéressent aujourd'hui aux passions en tant que phénomène social. L'un des précurseurs contemporains de ces travaux est le professeur Robert Vallerand, de l'UQAM. C'est à l'aide d'une échelle qu'il a mise au point qu'Amélie Apinis-Deshaies a d'ailleurs pu évaluer l'intérêt des étudiants-athlètes pour leur sport.
L'expertise de son directeur de mémoire, le professeur Halliwell, reconnu à l'échelle internationale pour ses travaux sur les stratégies de coping et l'épuisement sportif, lui a permis de définir la relation entre la passion pour le sport, l'adaptation et l'épuisement. La chercheuse a ainsi pu déterminer quelles sont les stratégies que l'athlète doit éviter ou mettre en oeuvre afin d'optimiser sa performance et son bien-être.
À son avis, la participation d'étudiants-athlètes comme volontaires est d'autant plus intéressante que, malgré la popularité des program mes sport-études, cette population est peu étudiée. "Ces hommes et ces femmes vivent dans un environnement particulier, dit-elle. Ils s'entraînent intensément et le sport fait partie intégrante de leur identité. Mais ils doivent aussi performer dans leurs études. Par conséquent, ils sont, peut-être, plus sujets à l'épuisement sportif."