Pompéi, Rue avec un passage piéton surélevé. Illustration: Wikimedia Commons
Découverte à Pompéi d'un atelier de potiers en activité lors de l'éruption du Vésuve
Dans le cadre du programme "Artisanat et économie à Pompéi", lancé il y a une dizaine d'années par Jean-Pierre Brun, professeur au Collège de France et ancien directeur du Centre Jean Bérard, Laëtitia Cavassa, céramologue au Centre Camille Jullian - Histoire et archéologie de la Méditerranée, de la Protohistoire à la fin de l'Antiquité (CCJ, UMR7299, CNRS / Aix-Marseille Université), a entrepris en 2012 l'étude et la fouille de la boutique numéro 29, avec la collaboration de Bastien Lemaire, membre de l'unité Archéologie des sociétés méditerranéennes (CNRS / Université de Montpellier 3, Ministère de la Culture et de la Communication), et d'une équipe de jeunes archéologues et étudiants français et italiens (1). En octobre dernier, la fouille d'un atelier de potier a permis de mettre au jour de nombreux éléments indiquant la présence de potiers au travail au moment de l'éruption du Vésuve à Pompéi en 79 après J.-C.
Il y a deux ans, l'équipe de Laetitia Cavassa a repris l'étude d'un atelier de potier, situé au Nord-Ouest de la ville, hors les murs, dans une boutique implantée dans la nécropole de la Porte d'Herculanum, le long de la route menant à la Villa des Mystères. Il s'agit de l'avant-dernière boutique (n°29) d'une série de quinze boutiques précédées d'un portique, construites en façade de la Villa aux colonnes de mosaïques. Cette boutique a été dégagée entre le 15 octobre 1838 et le 11 novembre de la même année. Les informations relatives à la fouille du XIXe siècle se limitent à quelques lignes publiées en 1863 par G. Fiorelli mentionnant la présence du four et de céramiques: "si è disterrato un forno di terracotta, in dove si sono rinvenuti trentaquattro pignattini ad un manico (2). Les vases mis au jour, appelés "pignattini", renvoient, selon les régions d'Italie du Sud, à des cruches ou des vases à cuire. Il est également précisé que ces vases possèdent un manche. Tout laissait à penser qu'il s'agissait de céramique commune culinaire (des poêles par exemple).
Les objectifs de la recherche étaient de documenter au mieux l'édifice artisanal — en reprenant l'étude même du four pour dater le fonctionnement de l'atelier —, d'identifier la production, notamment ses liens avec les pignattini décrits par les journaux de fouilles, et de rechercher les espaces de travail (tour de potier, bassins de décantations, etc.).
Dès les premiers jours de fouille, les résultats ont été très positifs. À quelques mètres du four, dans un angle de la pièce, les chercheurs ont retrouvé un niveau de lapillis (petites pierres projetées par les volcans en éruption), datant de l'éruption de 79 de notre ère, qui renfermait, tout en les protégeant, une dizaine de vases crus, en attente d'être cuits par le potier. Une telle découverte, inédite à Pompéi, constitue un apport fondamental pour la recherche relative à la production céramique du Ier siècle de notre ère.
Elle fournit une preuve directe de l'activité de l'atelier au moment de la catastrophe. Après les avoir façonnés, le potier a mis ces vases à sécher avant de les cuire. Cette opération a été suspendue par l'éruption du Vésuve qui les a figés à jamais dans les lapillis. Ces gobelets à paroi fine, décorés de guillochis et engobés correspondent aux pignattini mentionnés par les fouilleurs du XIXe siècle.
Cette découverte exceptionnelle a été le premier pas d'une histoire complétée, il y a une quinzaine de jours, par la découverte, dans la boutique mitoyenne n°28, de la salle de travail de l'atelier: quatre tours de potier, une amphore contenant des restes d'argile, des vases crus en phase de séchage tombés d'une étagère probablement en bois. Inédite à Pompéi, cette découverte permet également de comprendre les techniques utilisées par les anciens dans l'ars figulina.
Enfin, des recherches menées dans une troisième boutique, la n°30, ont permis de mettre au jour deux autres fours, également utilisés pour la cuisson de vases en paroi fine. Une autre information inattendue ! Si les sources du XIXe siècle mentionnaient la présence d'un four dans cette boutique, l'information s'était plus ou moins perdue, d'autant plus qu'une bombe américaine était tombée dans le secteur en 1943. Ce four, de plus petite dimension et pour lequel seuls les restes de la chambre de combustion sont conservés, fonctionnait en 79 ap. J.-C. Le second four, inédit celui-ci, semble légèrement plus ancien (de quelques années seulement) et était utilisé pour la cuisson de petits gobelets et bols en céramique à paroi fine.
En définitive, cette campagne de fouilles 2014, a permis de révéler un vaste complexe artisanal aux marges de la ville de Pompéi, se développant sur trois boutiques. Elle permettra de compléter les connaissances sur la production céramique à Pompéi au Ier siècle de notre ère.
Les travaux menés se déroulent en collaboration directe avec la Surintendance de Pompéi (3) et grâce à l'obtention d'une concession de fouilles accordée par le Ministero per i Beni e le attività culturali. La fouille est financée par le Ministère des Affaires Étrangères et du Développement Industriel par l'intermédiaire du Centre Jean Bérard. Elle bénéficie, depuis 2014, d'un soutien financier de mécènes privés français (CMD² et Neptunia).
Notes:
Ces recherches ont aussi leur place dans l'étude du secteur situé aux marges immédiates de la Porte d'Herculanum au sein du programme “Organisation, gestion et transformation d'une zone suburbaine: le secteur de la Porte d'Herculanum à Pompéi, entre espace funéraire et espace commercial”, dirigé par Laëtitia Cavassa, Nicolas Laubry (Centre de recherche en histoire européenne comparée, Université Paris-Est Créteil) et Nicolas Monteix (Groupe de Recherche d'Histoire, Université de Rouen) dans le cadre du contrat quinquennal de l'École française de Rome.
(1) L'équipe de ces trois campagnes était composée de Guilhem Chapelin (architecte, Centre Jean Bérard, CNRS/EFR, USR 3133), Leo Cagnard (doctorant, Archéologie des sociétés méditerranéennes,UMR 5140, CNRS / Université Montpellier 3 / MCC), Domenico Cirillo (étudiant à l'Université Suor Orsola Benincasa, Naples), Jacques-Adrien Delorme (étudiant à l'Ecole d'Architecture Paris - La Villette), Saverio de Rosa (numismate), Giovanni Festa, Aline Lacombe (céramologue, Direction Archéologie Ville d'Aix-en-Provence-Chercheur associé auCentre Camille Jullian, UMR 7299, CNRS / Aix-Marseille Université), Nicolas Leys (étudiant, Université de Paris IV-Sorbonne), Nicola Meluziis (archéologue), John-Marc Piffeteau (EPHE), Carla Rosa (étudiante à l'Université de Salerne-Fisciano).
(2) Fiorelli, PAH II, 1863, p. 361.
(3) Nous remercions le Surintendant Prof. Massimo Osanna et la dott.ssa Grete Stefani de nous avoir autorisés à fouiller, le dott. Fabio Galeandro, archéologue de nous avoir permis de travailler dans les meilleures conditions, ainsi que l'assistant Vincenzo Sabini.