Des chercheurs du laboratoire Géosciences Azur et du laboratoire Domaines océaniques, en collaboration avec des géophysiciens et géologues basés aux Etats-Unis, au Luxembourg, en Belgique et en Tanzanie, ont pour la première fois détecté et caractérisé de manière quantifiée un événement d'injection de magma ("dyking") dans un rift continental actif, en Afrique de l'Est.
Grâce à la mise en place d'un réseau sismologique temporaire français (Lithoscope, un des quatre parcs d'instrumentation sismologique portable de l'INSU-CNRS), les équipes françaises ont pu décrire cette crise sismo-magmatique et interpréter la succession des phases de déformation. Publiés le 11 novembre dans la revue Nature, les résultats de la comparaison des mesures géodésiques (GPS), interférométriques (Envisat), sismologiques et géologiques ont ainsi révélé que la plus grande partie de la déformation observée pendant la crise au sud du rift de Natron a été relâchée asismiquement, étayant le rôle prépondérant de l'intrusion de magma en profondeur pendant les stades initiaux du rifting continental, bien avant l'amincissement lithosphérique sous le rift.
Carte des séismes (ronds noirs) de juillet-août 2007 sur un fond topographique du nord de la Tanzanie, avec les principaux mécanismes au foyer de la crise sismo-magmatique. Les triangles blancs sont les stations françaises de LITHOSCOPE. L'encart montre les conditions cinématiques actuelles du rift est-africain (flèches avec valeurs en mm/an). La ligne rouge localise la position de l'intrusion magmatique.
Les rifts continentaux s'initient et se développent par épisodes répétés de mouvements tectoniques sur failles et de crises magmatiques. Cependant la répartition entre ces deux processus est encore peu documentée. Dans les rifts évolués, les contraintes extensives provenant des mouvements en champ lointain s'accumulent sur plusieurs dizaines d'années avant d'être relâchées lors de brefs intervalles de séismes et d'intrusions. Ces "crises" de rifting, également reconnues en contexte de dorsales océaniques, sont rarement observées dans les phases initiales de rifting, quand les lithosphères continentales sont encore épaisses.
Dans son article, l'équipe internationale regroupe et modélise une série de mesures géophysiques de la déformation avant, pendant et après une crise sismique qui s'est produite en juillet-août 2007 en Afrique de l'est, sur le flanc d'un volcan, le Gelai, au sud du rift Natron, en Tanzanie. Un volcan voisin, le Lengai, connu pour être le seul volcan actif au monde produisant des éruptions de natrocarbonatites, est alors entré en éruption.
L'analyse des déformations de surface, que ce soit sur le terrain, par interférométrie Envisat, et par GPS, a permis d'identifier la distribution dans le temps et l'espace de la déformation et de faire des comparaisons avec l'énergie sismique libérée. Il apparaît que dans la période de forte activité sismique (12-17 juillet), la plus grande partie de la déformation exprimée en surface est asismique: elle est interprétée comme un glissement lent de 0,5 m environ sur une faille normale située entre 5 et 10 km de profondeur. Dans le mois qui a suivi, la déformation asismique a perduré et est modélisée par l'intrusion d'un dyke de 2 m environ de largeur, situé entre 2 et 6 km de profondeur. Près de la surface, des deux côtés du dyke, le jeu de failles normales superficielles a accompagné cette mise en place.
Cette succession de déformation suggère un déclenchement de l'intrusion magmatique par changement de contraintes statiques suite au glissement lent sur la faille normale en profondeur, juste avant le séisme majeur du 17 juillet 2007. Cette crise sismo-magmatique fournit la preuve d'une accommodation significative de la déformation par intrusion de magma en profondeur dès les stades initiaux du rifting, bien avant l'amincissement lithosphérique sous le rift continental. Il est probable que ce processus joue un rôle prépondérant dans l'affaiblissement mécanique de la lithosphère continentale et dans la dynamique du rifting continental.