Les moteurs biomoléculaires qui se déplacent activement le long des filaments cellulaires, assurent le trafic dans les cellules et dans les systèmes biomimétiques. Une simple molécule motrice est suffisante pour garantir le transport continu de cargaisons telles que des petites vésicules ou des perles de latex sur un peu plus de quelques microns. Mais pour parcourir des distances de transport plus grandes, plusieurs molécules motrices doivent coopérer. Les scientifiques de l'Institut Max Planck de Potsdam ont développé une nouvelle théorie qui affirme que sept ou huit molécules sont suffisantes pour assurer un transport sur plusieurs centimètres voire sur quelques mètres.
Plusieurs moteurs moléculaires se déplaçant le long d'un filament tractent leur cargaison. Chaque moteur peut se détacher et se relier au filament, ce qui implique que le nombre de moteurs actifs change avec le temps.
Ils ont également prouvé qu'une charge partagée par les moteurs de traction, réduit la vitesse de transport et mène à un rapport force-appliquée/vitesse fortement non linéaire.
Transport d'informations par moteurs biologiques
Les moteurs moléculaires sont des nano-tracteurs de toutes sortes de cargaison dans les cellules des êtres vivants. Ils se déplacent par étapes le long des filaments du cytosquelette, consommant l'énergie fournie par l'hydrolyse de l'ATP (triphosphate d'adénosine), qui peut être considéré le carburant de la cellule. Le pas de ces moteurs est de l'ordre de 10 nanomètres. Par une progression pas à pas le long des filaments, les moteurs tractent leur cargaison qui sont beaucoup plus grandes que les moteurs eux-mêmes. En plus de leur importance dans le fonctionnement des cellules, les moteurs moléculaires ont beaucoup d'applications possibles en tant que systèmes biomimétiques de transport et sont susceptibles de devenir un facteur essentiel de l'émergence des bio-nanotechnologies.
Le transport actif assuré par les moteurs moléculaires est particulièrement important pour les neurones. Ces cellules possèdent des prolongements, les axones, qui relient le corps de la cellule à la synapse, où les signaux nerveux sont transmis d'un neurone à l'autre. La longueur des axones va du centimètre au mètre ; des axones particulièrement longs sont ceux qui relient notre cordon médullaire aux bouts de nos doigts et de nos orteils. Dans un tel axone, des microtubules sont les voies le long desquelles les moteurs moléculaires transportent leur charge, telle que des vésicules remplies de neurotransmetteurs.
Des sprinters pour un marathon ?
Durant la dernière décennie, notre connaissance des moteurs moléculaires s'est accrue rapidement grâce à des expériences sur les molécules simples et au développement de systèmes de simulation biomimétiques qui ont permis l'étude systématique des moteurs moléculaires en dehors des cellules.
Un résultat important de ces expériences est que les moteurs moléculaires, à la différence des chemins de fer ou des voitures, ont une forte tendance à quitter leur voie et à se répandre dans la solution environnante. C'est une conséquence directe de leur taille nanométrique qui les rend très sensible au bruit thermique. Ainsi, un moteur moléculaire simple ne peut "s'agripper" à son filament que pendant un temps relativement court, de l'ordre d'une seconde. Dans cette durée, le moteur parcours environ un micron, ce qui représente une fraction minuscule, environ 1/10000, des longues distances de transport le long des axones. En d'autres termes, un moteur seul se comporte comme un sprinter, tandis que la cargaison entière doit exécuter un marathon.
Une théorie
Les scientifiques de l'Institut Max Planck ont proposé une solution simple à cette énigme. Si la cargaison est tractée par plusieurs moteurs comme le montre la figure ci-dessus, tout moteur qui se détache du filament restera à proximité de celui-ci aussi longtemps que la cargaison et le filament seront encore liés chimiquement par au moins un autre moteur. Dans une telle situation, le moteur non lié au filament pourra s'y rattacher et continuera alors à tracter la cargaison. Contrairement aux sprinters humains, les moteurs moléculaires ne se fatiguent pas.
Ce mécanisme a été déduit d'un nouveau modèle théorique, qui distingue les différents états attachés à la cargaison de particules et décrit les transitions entre ces états. En utilisant ce modèle, les scientifiques de l'Institut ont pu calculer plusieurs propriétés de transport, telles que la vitesse moyenne et la distance de marche moyenne de la cargaison en fonction du nombre maximum de moteurs susceptibles de la tracter. Pour certaines molécules, par exemple, les calculs ont montré que seulement sept ou huit moteurs sont suffisants pour des distances de l'ordre du centimètre et qu'une cargaison tractée par 10 moteurs peut parcourir en moyenne environ un mètre.
Si les moteurs moléculaires se déplacent contre une force antagoniste externe, cette force est partagée entre les moteurs de traction. Une conséquence évidente est que le mouvement de la cargaison est ralenti. En outre, la charge supportée par chaque moteur de traction augmente fortement la probabilité de détachement. De plus, plus le nombre de moteurs déliés augmente, plus la charge de chacun des moteurs de traction restants s'accroît, ce qui signifie que leur probabilité de détachement augmente aussi. Cela conduit à une cascade de processus et à une dépendance fortement non-linéaire de la vitesse de la cargaison par rapport à la force externe de charge. De tels processus en cascade sont prévus dans des situations plus complexes, dans lesquelles le transport de cargaison est effectué par différents types de moteurs moléculaires.
Toutes les propriétés de transport prévues par cette nouvelle théorie peuvent être étudiées dans des expériences en utilisant les techniques qui ont été développées pour les moteurs simples. En fait, des expériences préliminaires réalisées à l'Institut Max Planck sont conformes aux prévisions théoriques. La théorie quantitative devrait également être utile afin de concevoir des systèmes biomimétiques de transport pour des applications dans lesquelles, par exemple, les moteurs moléculaires transportent certaines molécules à des emplacements spécifiques de réaction. Selon l'arrangement des filaments dans ces systèmes, modifier la distance de parcours pourrait fournir une stratégie pour contrôler, soit la localisation des réactifs à leurs emplacements cibles, soit, alternativement, leur diffusion qui serait améliorée par le transport actif par moteur moléculaire.