Une superflare est une émission électromagnétique d'une puissance exceptionnelle émanant d'une étoile, libérant une énergie équivalente à un trillion de bombes à hydrogène, bien au-delà des éruptions solaires enregistrées à ce jour.
Figure 1 - Illustration d'artiste d'un superflare produit par le Soleil. Crédit: Max-Planck-Institut
Pour déterminer si le Soleil est capable de produire de tels monstres, une équipe internationale, incluant le Département d'Astrophysique de l'IRFU au CEA Paris-Saclay, a analysé des dizaines de milliers d'étoiles similaires au Soleil. Les chercheurs ont découvert que non seulement le Soleil peut générer des superflares, mais celles-ci se produiraient en moyenne une fois par siècle, une fréquence bien plus élevée qu'estimée jusqu'ici.
Cependant, les traces laissées par d'anciennes éruptions solaires dans les archives terrestres montrent que ces superflares ne s'accompagnent pas toujours d'éjections massives de matière, une chance pour notre société technologique vulnérable à ces événements. Pour mieux comprendre et anticiper ces colères solaires, les chercheurs s'appuient sur des simulations numériques complexes pour étudier les mécanismes à l'origine du magnétisme et des éruptions solaires.
Le Soleil serait-il capable de générer des superflares ?
Les flares sont des émissions électromagnétiques soudaines, localisées et d'une grande intensité, émanant d'étoiles comme le Soleil. Ces phénomènes libèrent une quantité considérable d'énergie en un laps de temps très court (cf. figure 1). Ils s'accompagnent fréquemment d'éjections de plasma massives, appelées éjections de masse coronale (CMEs).
Lorsque les particules énergétiques solaires (SEPs) issues de ces éruptions atteignent la Terre, elles posent un danger radiatif significatif pour les satellites, les aéronefs et les humains. Les puissantes tempêtes solaires observées cette année, qui ont généré des aurores jusque dans des régions de basse latitude, témoignent du caractère impétueux du Soleil. Mais pourrait-il produire des éruptions encore plus intenses, des superflares, dont les dégâts sur Terre seraient catastrophiques ? Et si oui, à quelle fréquence pourraient-elles se produire ?
Figure 2 - Exemple de superflare observé dans la courbe de lumière (points bleus) d'une étoile de l'échantillon étudié. L'étoile KIC 8183083, similaire au Soleil, exhibe une forte variation de luminosité, caractéristique d'un superflare, délimitée ici par les lignes verticales en pointillés (panneau supérieur). Lorsque l'on zoome dessus (cf. panneau du bas), on remarque deux mesures du flux lumineux, symbolisé par une forme d'étoile, dépassant significativement (supérieur à 5?) les autres valeurs. Crédit: Vasilyev et al. 2024
Les preuves des pires "colères" solaires se trouvent dans les cernes des arbres préhistoriques et les carottes glaciaires millénaires. L'analyse de ces archives terrestres, couvrant les 12 000 dernières années, suggère qu'une tempête solaire extrême survient en moyenne tous les 1 500 ans. Cependant, cette estimation pourrait être sous-évaluée, car la relation entre superflares et éjections de particules solaires extrêmes reste encore incertaine. Quant aux mesures directes de la radiation solaire, elles ne remontent qu'à l'ère spatiale, une période trop courte pour fournir des conclusions définitives.
Une alternative consiste à étudier statistiquement les superflares sur des étoiles similaires au Soleil. Si les propriétés de ces étoiles correspondent suffisamment à celles de notre étoile, la fréquence des superflares observées peut offrir une estimation indirecte mais précieuse de la fréquence des superflares solaires.
Des superflares étonnamment fréquentes
Pour cette étude, les chercheurs ont utilisé les données du télescope Kepler (NASA), qui a observé sans discontinuité les variations de luminosité de milliers d'étoiles durant 4 ans, de 2009 à 2013. Ils ont ensuite sélectionné les étoiles dont la température et la luminosité sont comparables à celles du Soleil, avec une localisation précise déterminée grâce au satellite Gaia. L'échantillon ainsi constitué compte 56 450 étoiles, représentant l'équivalent de 220 000 ans d'activité stellaire, soit environ 18 fois plus que les archives terrestres.
Les superflares, qui libèrent plus d'un octillion de joules en quelques instants, se manifestent par des pics prononcés dans la courbe de luminosité des étoiles (cf. figure 2). Après avoir éliminé les biais potentiels, tels que la radiation cosmique ou les astéroïdes proches, les chercheurs ont identifié 2 889 superflares sur 2 527 étoiles, soit une moyenne d'une superflare par étoile tous les 100 ans. Même en restreignant l'échantillon pour ne conserver que les étoiles aux caractéristiques les plus proches de celles du Soleil, on retrouve la même fréquence d'éruptions.
"Nous avons été très surpris par la fréquence de ces superflambées", a déclaré le Dr Valeriy Vasilyev, auteur principal de l'étude et chercheuse au Max Planck Institut.
En effet, de précédentes études ont rapporté des fréquences environ deux ordres de grandeur inférieures à celles observées dans cette étude, entre 1000 à 10 000 ans. Toutefois, ces estimations sont incompatibles avec les éruptions solaires observées, probablement en raison de biais dans les analyses, liés à une identification incertaine des sources des éruptions.
Les superflares dictées par une loi de puissance
À partir de la distribution énergétique du nombre d'éruptions stellaires par an et par unité d'énergie (cf. Figure 3), les chercheurs ont observé que la fréquence des éruptions diminue avec l'énergie libérée selon une loi de puissance de type E-α, où l'exposant α détermine la rapidité de cette décroissance. La valeur de α pour le Soleil, obtenue à partir des mesures réalisées depuis l'espace entre 1986 et 2020, est en très bon accord avec les mesures stellaires, validant ainsi les estimations de la fréquence des superflares (E>1034 erg) à environ un par siècle.
Toutefois, la question se pose: est-ce que le Soleil, dont la rotation est lente (28 jours), peut-il accumuler suffisamment d'énergie pour générer de telles éruptions ? En plus de leur contribution à l'interprétation et l'analyse des données, des simulations de dynamo réalisées par les chercheurs du Département d'Astrophysique du CEA ont démontré qu'un tel phénomène est énergétiquement possible.
"Les calculs de dynamo haute performance des étoiles de type solaire expliquent facilement les origines magnétiques de l'intense libération d'énergie lors de ces superflares.” Dr. Allan-Sacha Brun
Figure 3 - Distributions cumulées de la fréquence annuelle des éruptions solaires et stellaires en fonction de leur énergie (en erg).
Une superflare est défini comme une éruption dont l'énergie E dépasse 1034 erg (symbolisée par un éclair). L'extrapolation des observations solaires (ligne pointillées verte), obtenues depuis l'espace entre 1986 et 2020 (histogramme vert), suggère une occurrence moyenne d'un superflare solaire par siècle (10-2/an). Les mesures des éruptions stellaires sur un vaste échantillon d'étoiles, similaires au Soleil, observées par le télescope Kepler (histogrammes bleu pour l'échantillon complet, orange pour un échantillon restreint), confirment cette fréquence des superflares (ligne noire en pointillés). En revanche, les estimations basées sur les archives terrestres (carrés verts), telles que les cernes d'arbres et les carottes glaciaires, indiquent une occurrence environ 10 à 100 fois moins fréquente. Cette différence s'explique par le fait que les superflares ne s'accompagnent pas systématiquement d'éjections massives de particules énergétiques et chargées.
Crédit: Vasilyev et al. 2024.
Comment se prémunir des tempêtes spatiales dangereuses
Cette étude révèle que le Soleil pourrait générer des superflares à une fréquence plus élevée qu'estimée auparavant: environ une fois par siècle. Ces phénomènes peuvent libérer des énergies jusqu'à 100 fois supérieures à celles de la plus puissante éruption solaire jamais enregistrée, survenue le 28 octobre 2003. Heureusement, les archives terrestres montrent que ces superflares ne sont pas systématiquement accompagnées d'éjections massives de particules chargées et énergétiques, ce qui est une chance pour notre civilisation technodépendante.
En effet, de telles éjections pourraient entraîner des conséquences catastrophiques (cf. figure 4), provoquant, par exemple, la perte de satellites, des coupures de réseaux électriques, la déviation voire l'arrêt de vols, des blackouts radio, etc.
Figure 4 - Conséquences sur Terre des perturbations liées à l'activité solaire dans les domaines du spatial (astronautes, satellites), des communications (géolocalisation, radio), de l'aéronautique (radiations) et des installations électriques au sol. Crédit: ESA
Cette étude souligne par conséquent l'importance de mieux comprendre notre Soleil afin d'anticiper ces événements extrêmes et en limiter les effets. Mais cette tâche est loin d'être aisée. La surveillance en temps réel des éruptions solaires ne permet qu'une réaction limitée dans la mesure où les particules et radiations dangereuses atteignent la Terre en seulement 8 minutes, un délai trop court pour mettre en place des contre-mesures efficaces.
Il est donc indispensable de développer des moyens pour anticiper les états futurs du Soleil. Pour cela, les chercheurs du CEA utilisent des simulations numériques complexes et assimilent dans ces modèles des données réelles capables de reproduire ces phénomènes, une discipline connue sous le nom de météorologie spatiale. Elle vise à étudier les effets des éruptions solaires sur la Terre et à développer des stratégies pour s'en protéger.
Le Département d'Astrophysique de l'IRFU au CEA Paris-Saclay en a justement fait sa spécialisé. A l'aide de superordinateurs, les chercheurs simulent numériquement le Soleil et le milieu complexe entre le Soleil et la Terre, où le vent et la magnétosphère solaire interagissent ensemble (e.g. projets Whole Sun, Stormgenesis et WindTRUST).
Ces travaux s'appuient sur un vaste réseau d'observations continues du Soleil, notamment grâce à l'instrument STIX, conçu en partie au CEA Paris-Saclay et embarqué à bord du satellite Solar Orbiter. Cet instrument fournit les précieuses données de spectro-imagerie X permettant d'étudier les processus physiques à l'origine des éruptions solaires.
Dès 2031, les chercheurs pourront également compter sur la sonde Vigil de l'ESA (notamment l'instrument JEDI pour lequel le CEA est co-I scientifique), qui, depuis un poste d'observation sur le côté du Soleil, surveillera en temps quasi réel les signes avant-coureurs des phénomènes dangereux avant qu'il ne soit visible depuis la Terre. Enfin, à partir de fin 2026, le satellite Plato (ESA), digne successeur de Kepler, pour lequel le CEA a une contribution hardware et scientifique, renforcera l'étude du Soleil en permettant des comparaisons statistiques avec des étoiles similaires.