Photo: Abdallah Les jeunes épinettes issues de graines provenant de populations du sud du Québec pourraient déjà profiter d'une migration assistée vers des régions plus fraîches comme le Témiscouata et la Gaspésie.
Pour assurer l'adéquation entre les besoins des épinettes blanches et les conditions climatiques futures, il est temps d'envisager la migration assistée de cette espèce
Il n'est pas trop tôt pour envisager le recours à la migration assistée pour s'assurer que les épinettes blanches mises en terre aujourd'hui grandissent dans un milieu qui sera au diapason de leurs besoins climatiques dans 50 ans. En fait, certaines épinettes issues de vergers à graines du Québec ont déjà une meilleure croissance lorsqu'on les plante dans des sites qui se trouvent au nord de leur lieu de provenance. C'est ce que révèle une étude publiée dans un récent numéro de la revue Frontiers in Plant Science par des chercheurs de l'Université Laval et du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
Selon les prévisions des modèles climatiques, les arbres du Québec seront confrontés à une hausse de température pouvant atteindre de trois à cinq degrés Celsius au cours du prochain siècle. À mesure que le sud "montera" vers le nord, les conditions optimales de croissance pour une population locale d'arbres se déplaceront progressivement vers des zones plus froides. "Les épinettes blanches ont une certaine plasticité leur permettant de composer avec des changements climatiques, mais au-delà d'un certain seuil, la limite sera atteinte et les populations locales d'arbres deviendront peu à peu moins bien adaptées aux conditions environnementales", explique l'un des auteurs de l'étude, Jean Beaulieu.
Afin de mieux documenter le potentiel de la migration assistée comme outil de mitigation des changements climatiques, les chercheurs ont réalisé une expérience à l'aide de semences d'épinettes blanches provenant de 8 vergers à graines répartis entre Berthierville, dans Lanaudière, et Desroberts, en Abitibi. Après deux ans de croissance en pépinières, des semis issus des huit lots ont été plantés dans trois sites en reboisement le long d'un gradient sud-nord: Watford dans Chaudière-Appalaches, Squatec dans le Témiscouata et Delville en Gaspésie.
Résultats ? Quatre années après leur plantation, les semis provenant des vergers les plus au sud sont ceux qui ont la meilleure croissance dans les trois sites. "Nos données suggèrent que les graines provenant de populations d'épinettes situées plus au sud pourraient déjà profiter d'une migration assistée vers des zones plus fraîches", commente le professeur Beaulieu.
Selon le chercheur, on ne peut pas compter sur les capacités naturelles d'adaptation des arbres pour affronter le choc thermique du prochain siècle. "La vitesse de migration de l'épinette blanche par dissémination des graines est de 10 à 100 fois plus lente que le rythme auquel les changements climatiques se produiront. Le Québec doit donc envisager sérieusement le recours à la migration assistée et planifier une stratégie en ce sens, comme l'a déjà fait la Colombie-Britannique."
L'étude publiée dans Frontiers in Plant Science est signée par Guillaume Otis Prud'homme, Lahcen Benomar, Jean Bousquet et Jean Beaulieu, du Département des sciences du bois et de la forêt, du Centre d'étude de la forêt et de la Chaire de recherche du Canada en génomique forestière, et par Mohammed S. Lamhamedi, André Rainville et Josianne DeBlois, du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
Les jeunes épinettes issues de graines provenant de populations du sud du Québec pourraient déjà profiter d'une migration assistée vers des régions plus fraîches comme le Témiscouata et la Gaspésie.