À Las Vegas, l'eau potable sert notamment à remplir la piscine et à nettoyer l'entrée de garage.
Las Vegas ! La capitale mondiale du divertissement, célèbre pour ses casinos, ses hôtels et sa vie nocturne, est une grande consommatrice d'eau. La ressource est d'autant plus stratégique que la ville de plus de deux millions d'habitants du Nevada est située dans un désert où il ne tombe qu'une dizaine de centimètres de pluie chaque année. En outre, la municipalité connaît un boum démographique, sa population ayant augmenté de 400 000 résidents entre 2002 et 2012. Au cours de la même période, l'industrie touristique locale a ajouté pas moins de 25 000 chambres d'hôtel.
Contrairement à la croyance populaire, les casinos, terrains de golf et hôtels, notamment les hôtels de luxe et leurs grandes fontaines, ne sont pas responsables de la forte demande locale en eau. "Le secteur touristique de Las Vegas s'avère très économe en eau, affirme le professeur Frédéric Lasserre, du Département de géographie. Les principaux utilisateurs de ces grands volumes d'eau sont les résidents. Ils s'en servent notamment pour des usages extérieurs comme remplir la piscine, arroser le jardin, nettoyer l'entrée de garage ou laver l'auto."
Ces faits sont tirés d'une étude récente du professeur Lasserre que l'éditeur en ligne SpringerOpen vient de publier.
Le chercheur s'intéresse depuis des années à la région ouest des États-Unis sous l'angle de la gestion de l'eau. Son étude révèle qu'en 2013 la demande en eau de l'industrie hôtelière de Las Vegas ne correspondait qu'à 7% de la demande globale. Pour les terrains de golf, c'était 6%. En revanche, la demande résidentielle des familles atteignait 60% du total.
"L'industrie touristique de Las Vegas respecte une réglementation stricte sur la consommation d'eau et fait un effort réel pour réduire son utilisation de la ressource, écrit-il. Elle le fait notamment en utilisant du gazon synthétique et en recyclant l'eau destinée aux terrains de golf ou aux grandes fontaines."
Il faut remonter aux années 1950 pour voir les premiers efforts visant à réduire la consommation individuelle d'eau à Las Vegas. De 1989 à 2013, la consommation par personne est passée de 1 300 litres par jour à 800. Les incitatifs comprenaient le remplacement de la pelouse par des plantes du désert. La réglementation portait notamment sur l'interdiction de faire pousser du gazon sur le devant des nouvelles maisons. Résultat: de 2002 à 2003 uniquement, les livraisons d'eau dans cette ville ont baissé de 5,2 millions de mètres cubes.
En dépit de ces résultats, certains critiquent le fait que la consommation d'eau par personne demeure élevée. Selon eux, le prix payé pour la ressource apparaît bas lorsqu'on le compare à ceux d'autres villes de l'ouest du pays ayant connu une croissance démographique semblable à celle de Las Vegas. Dans cette ville, en 2014, il en coûtait 63$ par mois en moyenne pour une famille de quatre consommant 568 litres d'eau par personne par jour.
"La question qui se pose, soutient Frédéric Lasserre, est de savoir si les autorités auraient le courage politique nécessaire pour amener les citoyens à diminuer encore plus leur usage de l'eau."
Un des obstacles est culturel. Il concerne certaines perceptions profondément ancrées, comme le fait de croire que la maison parfaite doit être agrémentée d'un gazon naturel vert, ou bien que propreté égale grande quantité d'eau, notamment pour la douche. "Beaucoup de gens, dit-il, croient que passer le balai dans l'entrée du garage ne suffit pas et qu'il faut un jet d'eau. Si on examine le cas de la pomme de douche à débit réduit qui permet d'économiser l'eau, on voit que plusieurs réagissent en prenant des douches plus longues. D'autres personnes sont également portées à utiliser le cycle long de leur lave-vaisselle ou de leur laveuse modernes, lequel cycle consomme plus d'eau. Dans leur esprit, on n'obtient un résultat qu'en utilisant beaucoup d'eau."
La croissance régulière de la population de Las Vegas, ajoutée à une importante demande en eau des agriculteurs, sans oublier la sévère sécheresse qui sévit dans la partie ouest des États-Unis depuis 2008, exerce une pression considérable sur le bassin du fleuve Colorado, d'où provient l'approvisionnement en eau de la ville. Selon Frédéric Lasserre, la gestion de l'eau dans cette ville représente aujourd'hui une équation difficile à résoudre en raison de contraintes d'ordre politique, sociologique, juridique et technique. "Ces difficultés, avance-t-il, expliqueraient pourquoi certains voient comme solution la dérivation d'importantes étendues d'eau situées au loin."