Les chauves-souris n'ont pas bonne presse en tant que vectrices de germes infectieux mais les maladies qui les frappent sont bien plus dangereuses pour elles que pour les humains. Deux études dans ce numéro de Science le rappellent cette semaine. La première montre que le syndrome du nez blanc pousse les chauves-souris vers l'extinction, ce qui particulièrement préoccupant vu leur rôle crucial en tant que pollinisatrices et consommatrices d'insectes. L'autre travail suggère que la rage chez les chauves-souris, due à un virus à ARN comme celui de Nipah ou du SRAS, se transmet d'autant plus difficilement entre espèces de chauves-souris qu'elles sont plus distantes.
Les chauves-souris régionalement menacées de disparition par le syndrome du nez blanc
Une petite chauve-souris autrefois commune en Amérique du Nord, le vespertilion brun, pourrait disparaître du Nord-Est des Etats-Unis dans les 20 prochaines années selon Winifred F. Frick, de l'Université de Boston, et ses collègues.
Le syndrome du nez blanc découvert à l'origine dans l'Etat de New York se propage rapidement dans tout le Nord-Est du pays et touche actuellement sept espèces de chauves-souris. Son nom vient du champignon blanc qui pousse sur leur nez, leurs ailes et leurs oreilles, l'infection poussant les animaux à rester actifs en hiver alors qu'ils devraient hiberner. Les chauves-souris épuisent ainsi leurs réserves de graisses et dans une colonie en hibernation environ 73 pour cent d'entre elles périssent alors chaque année.
Frick et ses collègues ont analysé les effectifs sur plus de 30 ans de 22 grottes et autres sites de cinq Etats du Nord-Est américain. En combinant leurs données avec des modèles de population, les chercheurs ont déterminé qu'il y avait un risque d'extinction régionale de 99 pour cent du vespertilion brun au cours des 20 prochaines années si la mortalité et la propagation de la maladie restaient inchangées. Ils notent aussi que plusieurs autres espèces de chauves-souris pourraient être confrontées à un risque similaire.
Le virus de la rage limité aux espèces proches chez les chauves-souris
Bien qu'une chauve-souris puisse transmettre la rage à l'homme ou à un autre mammifère par morsure, le virus responsable de la maladie a peu de chances de s'installer dans des populations humaines. Cela est dû au fait que notre espèce est trop éloignée des chauves-souris et que le virus requiert un hôte plus proche pour passer à autre espèce selon une nouvelle étude de Daniel Streicker au Centers for Disease Control and Prevention à Atlanta, et ses collègues. Leur découverte pourrait à l'avenir aider les chercheurs à prédire l'émergence de nouvelles maladies infectieuses.
Le virus de la rage fait partie des virus à ARN qui mutent rapidement et causent parfois des pandémie ou des épidémies chez l'homme lorsqu'ils proviennent d'espèces éloignées, comme dans le cas du virus Nipah ou du SRAS. Pour mieux comprendre dans quelles conditions ces virus passent d'une espèce à l'autre, Daniel Streicker et ses collègues ont analysé des centaines de virus de la rage prélevés à partir de 23 espèces de chauves-souris nord-américaines. Ils ont séquencé le gène de la nucléoprotéine de chacune et comparé leur séquence pour identifier les cas où il y avait eu transmission d'une espèce de chauve-souris à une autre et si cela se traduisait par une simple infection ou par son établissement dans une autre espèce.
Les chercheurs ont scruté les ressemblances entre les chauves-souris qui étaient impliquées dans ces infections interspécifiques. Bien que l'on explique en général de telles infections par la proximité physique des animaux, comme dans le cas du SRAS et des marchés couverts en Chine, l'équipe de Streicker a trouvé que la génétique semble être plutôt le facteur déterminant. La probabilité qu'une infection ait lieu puis soit transmise était directement liée à la proximité génétique des espèces de chauves-souris considérées.
Les auteurs proposent donc que des défenses similaires entre organismes favorisent les échanges viraux et que cette similarité est plus importante que l'exposition répétée au virus, idée qui "va à l'encontre du paradigme que les virus à ARN sont notre pire cauchemar pour l'émergence de nouvelles maladies" indique Peter Daszak dans un article associé.