Ce caoutchouc que l'industrie s'arrache

Publié par Michel,
Source: CNRS
Illustration: © ARKEMAAutres langues:
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Après un an de tests, la société Arkema s'apprête à commercialiser les caoutchoucs autoréparants codéveloppés par le CNRS. Plusieurs dizaines d'entreprises de produits manufacturés sont déjà sur les rangs.

Il aura suffi d'un an. L'année dernière, la communauté scientifique écarquillait les yeux devant les caoutchoucs autocicatrisants, tout juste sortis des éprouvettes du Laboratoire "Matière molle et chimie" (MMC), à Paris. Aujourd'hui, le premier chimiste français, la société Arkema, ancienne Atofina, entre dans la phase de commercialisation de ces caoutchoucs quasi magiques: une fois cassés, ils retrouvent leur intégrité au bout de quelques dizaines de minutes.


Les caoutchoucs autocicatrisants sont renforcés par divers composés comme ici le noir de carbone.

Un an, c'est court en matière de développement industriel. "Le passage du laboratoire au début de la commercialisation a été plus rapide qu'on ne le pensait", confirme Manuel Hidalgo, chef de projet au Centre de recherches Rhône-Alpes d'Arkema, près de Lyon. La société, qui avait codéposé le premier brevet des caoutchoucs autocicatrisants avec le CNRS, a mis à profit cette durée pour inventer des processus de fabrication rapides. Quand quelques grammes de matière étaient élaborés patiemment au laboratoire MMC, ce sont aujourd'hui trente kilos qui peuvent être produits d'un seul coup dans les creusets d'Arkema. On n'en est pas encore au stade industriel, mais c'est suffisant pour mener les études de faisabilité de production à l'échelle d'une usine.

Arkema a déjà noué des contacts en vue d'une industrialisation et signé des contrats de secrets avec une cinquantaine d'entreprises. À terme, Arkema devrait leur fournir du caoutchouc autocicatrisant, à charge à elles ensuite de le formuler selon leurs spécificités propres. La liste de ces sociétés, gardée confidentielle, couvre de larges pans de l'industrie, du textile jusqu'à l'exploitation pétrolière, en passant par l'automobile et la pharmacologie. Parmi les produits manufacturés prévus figurent des articles pour le sport, des revêtements anticorrosifs de tubes dans lesquels circule le pétrole, des joints de portière de voiture, des bouchons de bouteilles de médicaments.

En fait, le terrain d'application des caoutchoucs autocicatrisants est potentiellement infini. Ils possèdent en effet toutes les vertus des élastomères standard comme le caoutchouc naturel, en particulier le même pouvoir d'élongation. Autrement dit, ils peuvent les remplacer dans presque toutes les situations, avec naturellement un avantage en plus: leur faculté d'autoréparation, une propriété qui s'explique par la structure même du matériau. Un élastomère standard est en effet un "paquet" de polymères (1) greffés les uns aux autres. Dans un caoutchouc autocicatrisant, les briques de base du matériau ne sont pas soudées entre elles, mais jointes par des liaisons hydrogènes parfaitement réversibles (le même type de liaison qui existe entre les molécules H2O dans l'eau). Pour le vérifier, il suffit de couper un caoutchouc autoréparant, d'en joindre les deux bouts: une heure après, les liaisons hydrogènes se sont reformées et le matériau est redevenu comme neuf ! Le principe est tout droit issu de la chimie supramoléculaire, qui a valu au chimiste Jean-Marie Lehn3 son prix Nobel et qui vise à construire des édifices moléculaires en reliant des molécules par des liaisons faibles.

La rapidité avec laquelle les caoutchoucs autocicatrisants sont sortis du laboratoire tient en partie à la coopération de longue date entre les ingénieurs d'Arkema et l'équipe de Ludwik Leibler, directeur du laboratoire MMC. Cette collaboration remonte à bien avant l'aventure des caoutchoucs autocicatrisants. "En termes de partenariat, notre collaboration est exemplaire, se félicite Manuel Hidalgo. Dialoguer avec des scientifiques de haut niveau nous apporte beaucoup." Dans l'article de Nature4 de 2008 qui dévoilait ces caoutchoucs, Ludwik Leibler et ses collègues remerciaient Manuel Hidalgo pour les discussions sur certains aspects industriels. L'entente scientifique fonctionne visiblement à double sens.

Mais le caractère autocicatrisant n'est pas la seule qualité des caoutchoucs innovants qui allèchent les clients d'Arkema. "Le tour de force des scientifiques a été d'avoir pris des molécules existantes pour fabriquer leur caoutchouc", rappelle Manuel Hidalgo. Ces molécules (des dimères et trimères d'acides gras) proviennent en effet d'huiles végétales (colza, pin, maïs...). L'intérêt écologique est évident quand on songe que les caoutchoucs standard sont majoritairement d'origine pétrochimique. Bien que le latex naturel, issu de l'hévéa, puisse prétendre à la même provenance bio, certaines de ses propriétés, notamment l'obligation de lui faire subir une vulcanisation, restreignent son emploi. Plusieurs sociétés intéressées par le caractère renouvelable des caoutchoucs autocicatrisants ont déjà frappé à la porte d'Arkema.


Note:

(1) Les polymères sont des macromolécules formées à partir de l'enchaînement d'un motif simple, le monomère.
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