La levure à pain possède environ 6000 gènes. De son côté, le professeur Christian Landry, qui étudie le génome de ce champignon unicellulaire, en a, tout comme vous, près de 30 000. Leur ancêtre commun - parce que les levures et les humains ont effectivement un lointain ancêtre commun - comptait lui aussi près de 6000 gènes. "Une grande partie de la différence entre le génome de la levure à pain et celui de l'humain provient de la duplication génétique, explique le professeur de la Faculté des sciences et de génie de l'Université Laval. C'est par le biais de ce mécanisme, qui ajoute un ou des gènes à un génome existant, qu'est générée une grande partie de la diversité au sein des espèces et entre les espèces."
Les chercheurs ont réalisé leurs travaux sur la levure à pain. Ce champignon unicellulaire a environ 6000 gènes alors que l'humain en compte près de 30 000. Une grande partie de la différence entre le génome des deux espèces s'explique par a duplication de gènes. Getty Images/Handmade Pictures.
À long terme, la duplication génétique est, sans conteste, un puissant moteur de l'évolution, poursuit le chercheur rattaché à l'Institut de biologie intégrative et des systèmes. "Les duplications génétiques qui ont un effet positif ou neutre sur la survie et la reproduction sont souvent conservées dans le génome. Celles qui ont un effet négatif sont éliminées par sélection naturelle. Cela pourrait expliquer pourquoi certains gènes ont le même nombre de copies d'une espèce à l'autre."
Chez l'humain, le cas du gène de l'amylase, une protéine qui dégrade l'amidon, illustre bien les avantages de la duplication génétique. "Le nombre de copies de ce gène est directement lié à la concentration d'amylase dans la salive et ce nombre est plus élevé dans les populations humaines qui ont une alimentation riche en amidon. Dans leur cas, posséder plus de copies de ce gène procure un avantage évolutif."
À court terme toutefois, la destinée des duplications génétiques est moins bien connue. "Lorsque nous étudions la présence de duplications génétiques chez une espèce, nous sommes placés devant le fait accompli. On ne sait pas quelles routes ont été empruntées pour arriver à ce point", souligne-t-il.
Diana Ascencio, première auteure de l'étude, a créé, en laboratoire, 899 variants de levure qui possédaient chacun une copie supplémentaire d'un gène donné. Axelle Marchant
Pour documenter la question, le professeur Landry et ses collaborateurs ont créé, en laboratoire, une collection de variants de levure à pain. Pour ce faire, ils ont introduit une copie supplémentaire d'un gène donné dans une lignée de levure. Ils ont répété l'exercice près de 900 fois, ajoutant à chaque reprise une copie d'un seul gène à la cellule. Par la suite, chacun des 899 variants a été placé avec la levure originale dans un milieu de culture pour déterminer qui aurait le dessus après une trentaine de générations.
Les résultats, qui viennent de paraître dans la revue PNAS, montrent que l'ajout d'un gène a un effet neutre sur la survie et la reproduction des levures dans 88% des cas. "Ce taux se compare à ce qu'on observe avec les mutations, même chez l'humain, souligne le professeur Landry. La plupart du temps, l'effet est neutre. C'est conforme aux attentes des évolutionnistes."
Par contre, dans 12% des cas, la survie et la reproduction sont altérées. Les effets négatifs sont deux fois plus fréquents que les effets positifs et leur magnitude est plus grande. "Ce résultat m'a quelque peu surpris, admet le chercheur. Il s'explique peut-être par le fait que les mécanismes cellulaires sont comme une recette. Il est important de bien respecter le dosage des ingrédients pour la réussir. Lorsqu'on ajoute une copie d'un gène, on produit en plus grande quantité la protéine qu'il contrôle, ce qui peut perturber l'équilibre cellulaire. Comme en cuisine, certaines recettes cellulaires sont plus sensibles que d'autres aux changements de dosage. Notre étude permet de comprendre pourquoi, même chez des espèces apparues il y a des millions d'années, certains gènes ne sont jamais dupliqués."
L'article publié dans PNAS est signé par Diana Ascencio, Guillaume Diss, Isabelle Gagnon-Arsenault, Alexandre K. Dubé et Christian R. Landry, de l'Université Laval, et Alexander DeLuna, du Centro de Investigación y Estudios Avanzados du Mexique.