Chez les animaux, la reproduction sexuée est commune à de nombreuses espèces, mais les mécanismes qui conduisent au choix entre la formation d'un testicule ou d'un ovaire sont très divers et ils évoluent rapidement. Par exemple, le sexe peut-être déterminé par l'environnement (température et statut social notamment) ou par la génétique (chromosomes XX pour la femelle et XY pour le mâle). Chez la plupart des mammifères, y compris les êtres humains, l'expression du gène SRY, régulateur principal de détermination des testicules, initie une cascade génétique méconnue qui conduit à la formation du testicule. Depuis toujours, la communauté scientifique considère que le mécanisme de détermination sexuelle n'a pas été conservé au cours de l'évolution.
Cependant, un gène, DMRT1, semble être impliqué dans le développement sexuel des organismes de différents groupes du royaume animal. En effet, la protéine DMRT1, de par sa structure moléculaire (elle possède un domaine de liaison à l'ADN), participe à la détermination du sexe chez la drosophile et les nématodes, ainsi que chez certaines espèces de poissons et d'oiseaux. Chez les mammifères, le rôle exact de DMRT1 dans cette détermination reste encore inconnu. Pourtant, chez la souris, l'expression continue de DMRT1 dans le testicule adulte est essentielle pour maintenir l'identité de la gonade mâle. Ainsi, l'atténuation forcée de son expression entraîne une transformation du testicule adulte en ovaire. De même, chez l'homme, les grandes délétions du chromosome 9p, qui comprennent plusieurs gènes dont DMRT1, est associée à des anomalies du développement des testicules.
Des équipes de l'Université du Minnesota et de l'Institut Pasteur (Unité de Génétique du Développement Humain dirigée par Ken McElreavey) ont étudié le rôle spécifique joué par le gène DMRT1 dans la détermination du sexe. Ces travaux de recherche visaient à prouver notamment que le mécanisme de détermination sexuelle a bien été conservé au cours de l'évolution. Dans l'article de Murphy et al., publié le 25 mai 2015 dans la revue Nature Structural & Molecular Biology, les sites de liaison à l'ADN de DMRT1 ont été définis chez la souris et chez l'homme. Grâce à l'utilisation de la cristallographie aux rayons X, l'interaction du domaine DM avec le grand sillon de l'ADN a été caractérisée. Les chercheurs ont ainsi pu prouver que DMRT1 se lie à l'ADN in vivo, sous la forme d'un tétramère, dimère ou trimère. Cette découverte revêt une importance particulière car la réduction (ou l'absence) de liaison entre l'ADN et DMRT1, suite à des mutations spécifiques, provoque des phénotypes intersexués chez la drosophile.
Par ailleurs, en utilisant le séquençage de l'exome (i.e. partie du génome qui sert à synthétiser les protéines), Sandra Rojo, chercheuse dans l'équipe du Dr Bashamboo, a identifié le premier cas d'une femme, possédant des chromosomes sexuels XY (mâle) avec une mutation faux-sens dans le gène DMRT1. Pour la première fois, les chercheurs ont ainsi pu prouver qu'un changement d'acide aminé dans la protéine DMRT1 était lié à un manque de détermination testiculaire chez les mammifères. En effet, la protéine mutée a une activité biologique modifiée et sa capacité à interagir avec l'ADN est diminuée. De par ce fait, l'aspect physique du patient est identique à celui causé par des mutations dans le gène SRY, ce qui suggère que DMRT1 joue un rôle clé dans la détermination primaire du sexe chez l'homme.
Ces données indiquent que la détermination du sexe est un phénomène hautement conservé à travers les métazoaires, remettant ainsi en cause le dogme actuel. La reconnaissance de l'ADN par des protéines DMRT est essentielle pour la détermination du sexe, à la fois chez la drosophile et chez l'homme. Grâce à cette étude, les chercheurs de l'Institut Pasteur et de l'Université du Minnesota viennent de mettre à jour et de définir une interaction moléculaire ancienne qui a orienté la détermination du sexe pendant des centaines de millions d'années. La reproduction étant au centre de la sélection naturelle, DMRT1 pourrait donc jouer un rôle central en influençant l'évolution animale.