Des scientifiques du CNRS, de l'ESRF, du CEA, de l'Université Joseph Fourier et des Universités d'Amsterdam et d'Oxford ont réussi à créer une molécule capable d'éclairer l'intérieur des cellules vivantes avec une lumière turquoise, trois fois plus brillante qu'auparavant. Cette nouvelle molécule permettra d'étudier les interactions entre protéines à l'intérieur de cellules vivantes avec un niveau de sensibilité inégalée: une avancée en imagerie cellulaire qui a fait l'objet d'une publication le 20 mars 2012 dans Nature Communications.
Les protéines fluorescentes cyan (CFP) sont très utilisées en biologie cellulaire car elles rendent visibles, comme dans un film, les processus à l'œuvre à l'intérieur d'une cellule et les changements de conformation des molécules biologiques. Elles permettent, depuis le début des années 1990, d'observer des processus auparavant invisibles, comme le développement des cellules nerveuses dans le cerveau ou la propagation des cellules cancéreuses dans le corps. Cependant, ces molécules ont longtemps souffert d'un signal de fluorescence faible, ne convertissant à peine que 36 % de la lumière bleue incidente en lumière cyan (1).
Afin de pallier ce problème et d'améliorer la technique, l'équipe dirigée par Antoine Royant de l'Institut de Biologie Structurale (CNRS/CEA/Université Joseph Fourier) et les chercheurs des Universités d'Amsterdam et d'Oxford et de l'ESRF (European SynchrotronRadiation Facility) ont collaboré à un travail de recherche en trois étapes.
D'abord, l'équipe de Grenoble, avec celle d'Oxford, a décelé grâce aux rayons X du synchrotron ESRF, d'infimes détails qui ont permis d'expliquer comment les CFP stockent l'énergie incidente avant de la réémettre sous forme de lumière fluorescente. Les chercheurs ont produit des cristaux microscopiques de ces CFP améliorées, les ont soumis aux rayons X du synchrotron ESRF, et ont ainsi pu inspecter le chromophore, le "coeur" de la CFP à l'origine de l'émission de lumière et donc responsable de l'efficacité de fluorescence. Ils ont pu comprendre la fonction de différents atomes individuels à l'intérieur des CFP et identifier la partie de la molécule qui avait besoin d'être modifiée pour augmenter le signal de fluorescence.
En parallèle, l'équipe d'Amsterdam dirigée par le Professeur Theodorus Gadella s'est servie d'une technique de criblage innovante pour étudier des centaines de molécules CFP modifiées, mesurant leur durée de vie de fluorescence au microscope, afin d'identifier les protéines dont les propriétés avaient été améliorées.
Le résultat de cette conception rationnelle est une nouvelle CFP, appelée mTurquoise2. En combinant leurs efforts de biologie structurale et cellulaire, les chercheurs ont pu montrer que mTurquoise2 avait un niveau de fluorescence de 93 %, jamais atteint jusqu'ici pour ce type de protéine.
Cette nouvelle molécule permettra d'étudier les interactions entre protéines à l'intérieur de cellules vivantes avec un niveau de sensibilité inégalé. La haute sensibilité est cruciale pour les réactions rapides où le temps nécessaire pour l'accumulation de la lumière fluorescente est très court et dans des processus biologiques où quelques protéines seulement sont impliquées et les signaux extrêmement faibles. Grâce à cette nouvelle protéine, de nombreuses recherches pourront être réalisées avec des niveaux de précision et de détail jamais égalés. Par cette nouvelle approche basée sur la connaissance de la dynamique structurale de la protéine, les chercheurs espèrent maintenant concevoir des protéines fluorescentes améliorées avec des couleurs différentes pour d'autres applications.
(1) Les protéines fluorescentes cyan (CFP) cartographient des processus à l'intérieur d'une cellule vivante lorsqu'elles sont attachées à une protéine impliquée dans une interaction ou un changement de forme. La protéine fluorescente réagit en émettant une couleur cyan caractéristique, lorsqu'on l'illumine en lumière bleue. Cela permet de la localiser à l'intérieur de la cellule.
Référence:
Structure-guided evolution of cyan fluorescent proteins towards a quantum yield of 93%, J. Goedhart, D. von Stetten, M. Noirclerc-Savoye, M. Lelimousin, L. Joosen, M. A. Hink, L. van Weeren, T. W. Gadella Jr, and A. Royant, Nat. Commun. (2012)