La collaboration Double Chooz, qui regroupe notamment des chercheurs du CNRS et du CEA, a récemment achevé la construction du premier détecteur de neutrinos situé à la centrale nucléaire de Chooz, dans les Ardennes. L'expérience permettra d'étudier les propriétés fondamentales des neutrinos, avec des conséquences importantes pour la physique des particules et la cosmologie.
Les neutrinos sont des particules élémentaires neutres, produites en abondance dans les étoiles, l'atmosphère, et les coeurs des réacteurs nucléaires. Bien que prévues théoriquement en 1930, leur détection directe date de 1956. En raison de leur faible interaction, la matière leur est pratiquement transparente, et de grands détecteurs sont nécessaires pour les observer.
Vue en coupe du détecteur "lointain"
La découverte des oscillations de neutrinos à la fin des années 1990 fut une étape importante, ponctuée par le prix Nobel de 2002. Les oscillations décrivent les transformations en vol des neutrinos, d'une espèce vers l'autre. Leur observation entraîne l'existence d'une masse pour les neutrinos. Les oscillations dépendent de trois paramètres (nommés "angles de mélange" car ils caractérisent les proportions de mélange entre les types de neutrinos). Deux de ces paramètres ont déjà été mesurés. Une première expérience Chooz, qui s'est déroulée sur le site de la centrale nucléaire il y a une dizaine d'année, a montré que les oscillations correspondant au troisième et dernier paramètre sont rares et que sa valeur est donc faible. Le nouveau détecteur de Double Chooz est le premier d'une nouvelle génération d'instruments destinés à mesurer avec précision ce troisième paramètre fondamental de la physique des neutrinos, qui est elle-même un domaine clef de la physique des particules. Cette mesure aura d'importantes conséquences sur les programmes futurs d'expériences en physique des particules.
L'expérience Double Chooz comportera deux détecteurs identiques, situés à proximité des réacteurs de la centrale nucléaire de Chooz. Le premier d'entre eux, situé à une distance d'environ 1 km des réacteurs, a été rempli de 240 m3 de scintillateur liquide et commence à prendre des données. Dès cette année, la comparaison entre le nombre de neutrinos mesurés et le flux attendu permettra d'affiner les meilleures données mondiales. Le second détecteur, situé à 400m des coeurs, entrera en opération en 2012. À cette distance, la transformation du neutrino d'une sorte vers une autre reste peu importante. En comparant les résultats des deux détecteurs, une précision accrue sera obtenue, avec peut-être la découverte de "l'oscillation".
Ces deux détecteurs utiliseront des scintillateurs liquides, mis au point spécialement pour cette expérience. La cible au centre du détecteur contient 10 m3 de scintillateur dopé au Gadolinium, ce qui permet de signer la capture des neutrons directement créés par l'interaction des anti-neutrinos venant des réacteurs nucléaires. Cette cible est entourée de 3 couches successives d'autres liquides, qui la protègent d'autres particules et atténuent la radioactivité naturelle. La cible est observée à distance par 390 photomultiplicateurs immergés, grâce auxquels les interactions se traduisent par des signaux électroniques qui transmettront les données.
Le CEA et le CNRS jouent un rôle majeur dans cette expérience qui rassemble 35 laboratoires de huit pays différents. Ils assurent le pilotage du projet et la coordination des principaux groupes techniques, tant pour la construction que pour le traitement et l'analyse des données. Les laboratoires français ont pris en charge la construction mécanique du détecteur, son électronique digitale, et l'acquisition de données, ainsi qu'une partie de l'étalonnage du détecteur ; ils ont également coordonné le projet avec le site national de production d'énergie nucléaire EDF de Chooz et avec l'Autorité de sûreté nucléaire pour les questions de sécurité.
Le deuxième détecteur sera installé dans un nouveau laboratoire souterrain. La livraison du laboratoire est prévue début 2012.