Une équipe de chercheurs grenoblois issus du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement (LGGE, CNRS/UJF), de l'Institut de biologie structurale (IBS, CEA/CNRS/UJF) et du Laboratoire adaptation et pathogénie des microorganismes (LAPM, UJF/CNRS) vient de mettre en évidence que les retombées brutales de mercure observées chaque printemps en Arctique ne sauraient être l'unique cause de contamination des écosystèmes par cet élément. Il semble en revanche que les précipitations neigeuses aient un fort potentiel contaminant dans cette région. Cette étude a été publiée en ligne le 22 février 2011 dans la revue Environmental Science and Technology.
En Arctique, bien plus qu'ailleurs, les paradoxes scientifiques sont nombreux. En voici un exemple: dans cette région, les chaînes alimentaires mais également les populations natives sont toujours aussi sévèrement contaminées par le mercure qu'il y a quelques décennies ; pourtant, ce poison émis en partie par les activités humaines et transporté vers les pôles voit ses concentrations atmosphériques en Arctique diminuer depuis 40 ans, date des premières réglementations sur les rejets de mercure dans l'atmosphère.
Intéressée par ce paradoxe, une équipe constituée de chercheurs de trois laboratoires grenoblois a adopté une façon originale de l'aborder, en étudiant la biodisponibilité des dépôts de mercure. Pour qu'une contamination au mercure ait lieu, celui-ci doit en effet pouvoir pénétrer dans la cellule d'un micro-organisme c'est-à-dire être sous une forme acceptable par le tissu biologique: on dit alors qu'il est biodisponible. Le mercure est biodisponible quand il est sous sa forme divalente et associé à des espèces particulières (comme HgCl2, Hg(OH)2, HgCl3-...). À l'intérieur de la cellule, le composé biodisponible est transformé par certains micro-organismes en méthyle-mercure, une espèce non seulement très toxique, mais aussi stable et à forte affinité pour les protéines et qui aura donc une forte tendance à s'accumuler dans les organismes et à se propager le long des chaînes alimentaires.
La difficulté de cette approche est que les méthodes d'analyse classiques permettent de mesurer la quantité totale de mercure divalent dans un échantillon, mais pas la fraction biodisponible de ce mercure, et qu'il faut donc innover.
Un biocapteur ultrasensible...
Une technique de mesure du mercure biodisponible a été mise au point récemment: elle utilise des bactéries génétiquement modifiées afin d'être capables d'une part de fixer le mercure biodisponible présent dans l'échantillon à étudier et d'autre part de répondre à cette présence par une émission de luminescence, dont la mesure permet alors d'estimer la quantité de mercure biodisponible fixé. Elle présente cependant l'inconvénient de ne pouvoir mesurer que des quantités importantes. Les chercheurs ont donc réalisé des développements de pointe de manière à rendre ce biocapteur ultrasensible.
... pour des résultats surprenants
Les chercheurs ont ensuite travaillé pendant deux mois sur une centaine d'échantillons de neige au Svalbard en Arctique (79°N) ce qui leur à permis d'obtenir des résultats importants.
Jusqu'à récemment, on pensait que les phénomènes de réactivité atmosphérique, connus depuis les années 90 pour conduire chaque printemps au dépôt soudain de grandes quantités de mercure divalent sur la neige des surfaces côtières arctiques ainsi que sur la banquise, étaient à l'origine de la contamination des organismes dans cette région. Erreur ! Déjà en 2010, la même équipe de chercheurs avait clairement établi qu'une fraction importante de ce dépôt repart ensuite vers l'atmosphère. En outre, les résultats actuels montrent que ces dépôts ont une biodisponibilité très modeste, qui ne suffit pas à expliquer la contamination.
Un autre résultat de cette étude a particulièrement surpris les chercheurs. Collectant à de nombreuses reprises de la neige fraîchement tombée, ils se sont aperçus que la biodisponibilité du mercure y était parfois totale ! La neige fraîche serait donc un milieu idéal pour la concentration, voire la production, de mercure à caractère biodisponible et donc particulièrement menaçant pour les écosystèmes. Les chercheurs estiment que sur une année jusqu'à 225 tonnes de mercure biodisponible pourraient ainsi être déposées en Arctique. Reste que la raison de cette biodisponibilité du mercure dans la neige fraîche est encore mystérieuse et nécessite d'autres travaux en Arctique, qui seront entrepris dès avril prochain.
Ces travaux ont été financés par l'INSU/CNRS (programme EC2CO) et l'Institut polaire français Paul-Emile Victor IPEV (programme CHIMERPOL).