Quand on pense aux éclairs, l'image qui vient à l'esprit est celle des orages terrestres. Mais sur Mars, une planète où l'eau est rare, l'idée de décharges électriques semble improbable. Pourtant, une observation récente a bouleversé cette perception.
L'équipe de Baptiste Chide, de l'Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie, a exploité le microphone du rover Perseverance pour capter des signaux inattendus. Au cours de 29 heures d'enregistrement sur deux années martiennes, 55 événements électriques ont été identifiés. Ces signaux se manifestent par une interférence dans l'électronique du microphone, suivie d'une onde de choc réelle produite par la décharge. Cette méthode auditive a permis de détecter des phénomènes qui échappaient aux instruments traditionnels.
Illustration d'un éclair se déchargeant lors d'une tempête de poussière sur Mars. Crédit: NASA
Ces décharges électriques martiennes diffèrent radicalement de celles sur Terre. Sur notre planète, la foudre naît principalement des frottements entre particules de glace dans les nuages. Sur Mars, c'est le frottement des grains de poussière, soulevés par les vents ou les tourbillons, qui génère l'électricité. Daniel Mitchard, physicien à l'université de Cardiff, explique que le seuil de décharge, lié à la pression atmosphérique, est beaucoup plus bas sur la planète rouge (explication en fin d'article). Ainsi, les éclairs martiens sont plus faibles et plus proches de la surface.
La majorité des événements enregistrés coïncident avec des vents forts ou le passage de tourbillons de poussière près du rover. Cette connexion étroite avec les tempêtes localisées indique que les décharges pourraient influencer la chimie martienne. Les oxydants comme le peroxyde d'hydrogène, dont la présence était inexpliquée, pourraient être produits par ces phénomènes électriques, ce qui a des conséquences pour la recherche de traces de vie (voir ci-dessous).
Capturer visuellement ces éclairs reste difficile. Beaucoup se produisent de jour, sont très brefs et souvent masqués par la poussière. Les décharges les plus grandes, provenant du rover lui-même, ne mesurent que quelques dizaines de centimètres. Pour les observer, il faudrait des caméras haute vitesse et haute résolution, actuellement absentes sur Mars. Cette limitation ouvre cependant la voie à de futures missions mieux équipées.
Au-delà de Mars, cette découverte élargit les perspectives. C'est la première fois que des décharges électriques sont détectées sur une planète rocheuse autre que la Terre. Des phénomènes similaires pourraient exister sur Vénus ou sur Titan, la lune de Saturne. Sur Mars, l'électrification des poussières pourrait même amplifier les tempêtes en facilitant le soulèvement des particules, jouant ainsi un rôle dans le cycle climatique global.
Les implications pour l'exploration spatiale sont directes. En quantifiant l'énergie de ces décharges, les ingénieurs pourront mieux protéger les missions futures, y compris les combinaisons spatiales pour astronautes. L'étude, publiée dans Nature, marque une étape dans notre compréhension de l'environnement martien. Elle rappelle que même sur des planètes apparemment calmes, l'électricité peut surgir de façon inattendue.
Le seuil de décharge électrique sur Mars
Le seuil de décharge, ou 'breakdown threshold', est un concept clé pour comprendre pourquoi la foudre sur Mars diffère de celle sur Terre. Il représente la quantité de charge électrique nécessaire pour qu'un nuage de particules se décharge dans l'atmosphère. Sur Terre, la pression atmosphérique est d'environ une atmosphère, ce qui rend l'air plus isolant. Ainsi, il faut environ trois mégavolts par mètre carré pour que la foudre se produise, nécessitant des accumulations de charge importantes dans les nuages d'orage.
Sur Mars, la pression à la surface est seulement 0,006 atmosphère, ce qui réduit considérablement l'effet isolant de l'air. Par conséquent, le seuil de décharge est beaucoup plus bas, autour de 15 kilovolts par mètre carré. Cette différence signifie que des quantités moindres de charge, générées par le frottement des poussières, suffisent à provoquer des décharges électriques. C'est pourquoi les éclairs martiens sont plus faibles et plus localisés près de la surface.
La composition atmosphérique joue aussi un rôle. L'atmosphère terrestre, riche en azote et oxygène, est un bon isolant électrique. Sur Mars, l'atmosphère est principalement composée de dioxyde de carbone, ce qui modifie les propriétés électriques. Ces facteurs combinés expliquent pourquoi les décharges sur Mars ressemblent plus à des étincelles statiques qu'aux grands éclairs terrestres, avec des implications pour la sécurité des équipements en mission.
Comprendre ce seuil aide à prévoir où et quand ces phénomènes peuvent se produire, essentiel pour les futures explorations robotiques ou humaines. Cela permet de concevoir des systèmes électroniques résistants aux interférences électriques, garantissant la fiabilité des missions sur la planète rouge.