Le 10 septembre dernier, la sonde Cassini effectuait un survol rapproché de Japet, une des plus étranges lunes de Saturne (voir notre news). Les scientifiques ont commencé l'analyse des nombreuses données acquises pendant ce survol. Japet a un diamètre de 1436 kilomètres.
La face ("arrière") lumineuse de Japet en fausses couleurs On distingue un vaste bassin d'impact de 450 km de large ainsi que la zone de transition avec la face sombre (sur la droite) Date: 10 septembre 2007 ; distance de Cassini: 73 000 km environ (mosaïque); résolution: 426 mètres par pixel. Cliquer sur l'image pour l'agrandir (1,6 Mo)
Japet semble être le siège d'un curieux phénomène de "partitionnement thermique en cascade" assurant le transfert de glace d'eau vaporisée depuis les régions sombres vers les régions plus claires. Ce modèle pourrait expliquer certains points de l'aspect étrange et du contraste spectaculaire de la lune, révélés avec un rare détail dans les images collectées pendant le récent survol de la sonde Cassini.
Les observations infrarouges confirment que la matière sombre est suffisamment chaude (approximativement -146°C ou 127 kelvins) pour permettre une libération très lente de vapeur depuis la glace d'eau. Ce processus est sans doute un facteur essentiel de la localisation si nette des frontières entre les zones de luminositédifférente.
Une face sombre, une face claire
"La face avant de Japet sur son orbite autour de Saturne (1) est assombrie par un processus encore mystérieux," indique John Spencer, scientifique de l'équipe responsable du spectromètreinfrarouge de la sonde. A l'aide des divers instruments de Cassini, les scientifiques tentent de rassembler les morceaux d'une histoire complexe afin d'expliquer l'apparence de Japet, mais comment expliquer l'origine de cette matière noire. Est-elle native ou provient-elle de l'extérieur? Il a longtemps été supposé que ce matériau provenait d'autres lunes gravitant à une distance beaucoup plus grande de Saturne dans une direction opposée à Japet.
Les scientifiques seraient maintenant plutôt enclins à penser que le processus obscurcissant a pu effectivement débuter de cette manière, mais que des phénomènes thermiques ont par la suite intensifié le contraste comme nous le voyons aujourd'hui.
"Il est intéressant de considérer qu'une idée vieille de plus de 30 ans puisse encore aider à expliquer la différence de luminosité sur Japet," note Tilmann Denk, scientifique de l'équipe imagerie de Cassini. "Des matières poussiéreuses s'enroulent en spirale depuis les lunes externes et frappent Japet de plein fouet, ce qui donne à sa face avant un aspect légèrement différent du reste".
A partir du moment où la face avant est plus sombre, même légèrement, le partitionnement thermique peut s'enclencher rapidement. Une surface foncée absorbe plus de lumière solaire et se réchauffe, explique Spencer, et la glace d'eau à la surface s'évapore. La vapeur d'eau se condense ensuite sur la zone froide la plus proche, comme l'un ou l'autre des pôles de Japet et probablement aussi des secteurs glacés lumineux aux latitudes inférieures sur la face "arrière" de la lune. Ainsi la substance foncée perd sa glace de surface et s'assombrit davantage, et la substance plus claire accumule de la glace et devient encore plus lumineuse, dans un phénomène en cascade. Selon les scientifiques, c'est ce qui expliquerait pourquoi il n'y a pratiquement aucune nuance de gris sur Japet. On n'y observe que du très noir, ou du blanc.
Les données ultraviolettes montrent qu'il existe également une composante non glacée dans les régions lumineuses et claires de Japet. L'analyse spectroscopique devrait permettre d'indiquer si la composition des matériaux de la face sombre est identique à celle des régions sombres de la face claire.
"Les données dans l'ultraviolet nous permettent de distinguer les zones où la glace d'eau est présente de celles où elle ne l'est pas", explique Amanda Hendrix, scientifique de l'équipe du spectrographe ultraviolet au JPL. "A première vue, les deux types de surface ne semblent pas être présentes selon la configuration que nous avions prévue, ce qui est très intéressant,"
En raison de la présence de cratères très petits qui excavent la glace lumineuse du dessous, les scientifiques pensent également que les couches sombres sont peu épaisses, un résultat conforme aux précédentes analyses radar effectuées par Cassini. Mais localement, certains secteurs locaux peuvent être plus épais. Le matériau sombre semble se situer en surface sur la région lumineuse, conformant ainsi l'idée qu'il s'agit d'un résidu laissé par la glace d'eau sublimée.
Japet, coquille de noix
Le voile sur d'autres mystères se lève également peu à peu. De nombreuses données sur la crête montagneuse de Japet qui lui donne son aspect de coquille de noix ont été recueillies. A certains endroits elle semble atténuée. Mais pourquoi cette chaîne ne fait-elle pas entièrement le tour de la lune ? A-t-elle été partiellement détruite après sa formation, ou ne s'est-elle jamais étendue tout autour de Japet ?
Japet lors de l'approche da Cassini ; en fausses couleurs. Cette vue en croissant met en valeur la crête montagneuse ainsi que le spectaculaire contraste de luminosité entre les régions. Date: 10 septembre 2007 ; distance de Cassini: 83 000 km environ (mosaïque); résolution: 489 mètres par pixel. Cliquer sur l'image pour l'agrandir
Les scientifiques ont éliminé l'hypothèse d'un relief jeune parce qu'il est parsemé de cratères, ce qui révèle son ancienneté. Et la crête paraît trop solide et cohérente pour être le vestige d'un anneau équatorial autour de la lune qui se serait effondré à la surface. Cette théorie ne pourrait pas expliquer les structures tectoniques apparaissant dans les nouvelles images en haute résolution
Note: (1) Rappelons que, comme la grande majorité des lunes du Système Solaire, Japet présente toujours le même hémisphère face à Saturne. En conséquence, une même région est également toujours orientée dans le "sens de la marche" de Japet le long de son orbite. Nous l'appelons ici "face avant".