Un cratère lunaire aux dimensions planétaires, le bassin Pôle Sud-Aitken, livre enfin les secrets de sa naissance violente. Une réinterprétation minutieuse de sa morphologie bouleverse le scénario établi de sa formation et éclaire d'un jour nouveau la dichotomie
fondamentale entre les deux faces de notre satellite.
Cette relecture géologique n'est pas qu'une simple curiosité académique. Elle guide directement les prochaines explorations humaines, en désignant le bord sud de ce bassin comme une destination privilégiée pour la mission Artemis III. Les astronautes y trouveraient des éjectas, des matériaux remontés des profondeurs lunaires lors de l'impact, offrant un accès sans précédent à l'histoire primitive de la Lune.
Le bassin d'impact Pôle Sud-Aitken, situé sur la face cachée de la Lune, s'est formé lors d'un impact venant du nord (vers le bas de l'image).
Un dépôt de débris riche en éléments radioactifs KREEP (en rouge vif) est visible d'un seul côté du bassin.
Ce dépôt contient des matériaux extraits de l'ancien océan magmatique lunaire.
Les astronautes d'Artemis atterriront dans cette zone, à l'extrémité sud du bassin (en bas de l'image).
Crédits: Jeff Andrews-Hanna / University of Arizona / NASA / NAOJ.
Une enquête géologique pour retracer la trajectoire de l'impact
La résolution de cette énigme a nécessité une approche combinant plusieurs techniques d'observation. L'équipe de recherche a eu recours à l'analyse topographique, à la
cartographie des variations du champ gravitationnel et à l'étude de l'épaisseur de la croûte lunaire pour redéfinir avec précision les contours souvent estompés du bassin. Ces données ont ensuite été comparées à celles d'autres structures d'impact majeures dans le
Système solaire, comme les bassins Hellas et Utopia sur Mars, afin de valider les modèles interprétatifs.
Le résultat de cette investigation est sans équivoque: le bassin Pôle Sud-Aitken présente une structure oblongue, semblable à une goutte d'eau ou à un avocat, qui se rétrécit significativement en direction du sud. Cette forme caractéristique est la signature d'un impact oblique, où la partie la plus étroite indique la direction vers laquelle l'astéroïde a poursuivi sa route après le choc. Cette observation contredit l'hypothèse historique d'un impact venu du sud.
a) Bassin Pôle Sud-Aitken représenté en gravité de Bouguer.
b) Bassin Pôle Sud-Aitken représenté en gradients de gravité.
c) Topographie du bassin PĂ´le Sud-Aitken.
d) Topographie du bassin Hellas sur Mars.
e) Topographie du bassin Crisium sur la Lune.
f) Topographie du bassin Sputnik sur Pluton.
Toutes les cartes sont en projection polaire centrée sur le bassin, orientées vers le bas selon la direction supposée de l'impact. Les bords des bassins sont tracés en noir, avec une ellipse moyenne (blanc) et sa variation (gris). Les contours de a et b sont identiques, combinant les deux jeux de données.
Cette nouvelle trajectoire, du nord vers le sud, a une conséquence directe sur la distribution des matériaux excavés. La modélisation indique que les éjectas, les débris projetés depuis les couches profondes, se sont principalement accumulés sur le bord "aval" du cratère, c'est-à -dire au sud. Cette prédiction positionne les futures zones d'alunissage d'Artemis dans une localisation géologique exceptionnelle, au sommet d'un empilement de matériaux originaires du manteau lunaire.
Un impacteur qui a percé la croûte au pire moment
La Lune primitive était probablement une boule de roche en fusion, recouverte d'un vaste océan magmatique. En refroidissant, cet océan a cristallisé, donnant naissance au manteau et à la croûte. Certains éléments chimiques, incompatibles avec les minéraux qui se formaient, ont été rejetés dans le liquide résiduel. Ce "sirop" géochimique final, riche en potassium, en terres rares et en phosphore, est désigné par l'acronyme KREEP.
L'étude publiée dans
Nature suggère que l'impact du bassin Pôle Sud-Aitken s'est produit à un moment clé, alors que les dernières poches de cet océan magmatique n'étaient pas encore
complètement solidifiées. Les chercheurs comparent ce processus à la
congélation d'une canette de soda: l'eau gèle en premier, concentrant le sucre dans les dernières gouttes de liquide. Sur la Lune, les éléments KREEP se sont concentrés dans les ultimes résidus de magma, qui ont été chassés vers la face visible par l'épaississement de la croûte de la face cachée, à la manière d'un tube de
dentifrice pressé.
La preuve de ce scénario réside dans une asymétrie chimique frappante autour du bassin. Les éjectas situés sur son flanc ouest sont anormalement riches en thorium, un élément radioactif caractéristique du matériau KREEP. En revanche, son flanc est en est presque dépourvu. Cette distribution suggère que l'impact a ouvert une brèche dans la croûte lunaire précisément à la limite où subsistaient ces poches magmatiques résiduelles, en libérant une partie de leur contenu à la surface.
La confirmation définitive de ces hypothèses repose sur l'analyse d'échantillons prélevés sur place. Les missions Artemis, en se posant près du pôle Sud, auront ainsi l'opportunité de rapporter sur Terre des fragments de ces éjectas riches en thorium. Leur étude en laboratoire permettra de dater avec précision l'impact et de caractériser la composition des derniers vestiges de l'océan de magma, offrant une fenêtre unique sur les premiers instants de la Lune.