Les éléphants sont harnachés jour et nuit avec des chaines qui peuvent causer des plaies.
La professeure Christine Theoret, de la Faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal, tente avec d'autres vétérinaires de porter secours aux éléphants du Laos. Une collaboration dont les humains pourraient aussi profiter, puisque leur santé est liée à celle des éléphants.
Pays rural peu développé, sans accès à la mer - il est encadré par le Viêtnam, la Chine, la Birmanie, le Cambodge et la Thaïlande -, le Laos n'a pas les moyens économiques de quelques-uns de ses puissants voisins. S'il était plus riche, cet État communiste dont le nom premier, "Lan Xang", signifie "pays du million d'éléphants" pourrait sans doute mieux aider ses éléphants domestiques et sauvages dont le nombre total serait seulement d'environ 1300 têtes...
Mais le pays est pauvre et, à écouter la vétérinaire Christine Theoret, qui a séjourné trois semaines au Laos en 2011 pour y soigner des éléphants, la situation ressemble à la Chronique d'une mort annoncée, d'après le roman de l'écrivain colombien Gabriel García Márquez. Cette disparition annoncée des éléphants - qui pourrait survenir d'ici 25 ans -, de multiples forces y contribuent. Au braconnage, qui touche surtout les éléphants sauvages, s'ajoutent pour les bêtes domestiquées le manque de connaissances des propriétaires (cornacs), l'absence de vétérinaires, les maladies, les parasites... ainsi que les blessures et l'épuisement au travail! Au Laos, les éléphants remplacent les tracteurs et, ironie du sort, travaillent à leur propre effacement, car les cornacs sont des bucherons engagés dans un grand projet de déforestation.
Christine Theoret tente de porter secours aux éléphants du Laos.
Aux tâches extrêmement difficiles liées au déboisement se mêlent les "conditions de travail": les éléphants sont harnachés jour et nuit avec des chaines qui peuvent les blesser et causer des plaies à cause du frottement. Non traitée, une blessure constitue une porte ouverte à l'infection et à l'abcès qui en résulte. C'est justement pour prodiguer des premiers soins que Christine Theoret s'est rendue au Laos.
Bien que cette spécialiste des grands mammifères soit chirurgienne, elle n'a pas opéré d'éléphants pendant son séjour, mais effectué de nombreuses petites interventions, désinfectant des plaies, soignant des blessures aux pieds, transmettant de l'information de première ligne aux cornacs. Pour l'anecdote, mentionnons que les interventions sur des éléphants doivent toujours être menées prudemment, car, signale Christine Theoret, "un coup de trompe peut tuer une personne".
Venue au Laos pour également poser les jalons d'une collaboration entre le Groupe international vétérinaire de la Faculté de médecine vétérinaire de l'UdeM et l'ONG française ElefantAsia, une organisation vouée à la survie et au bienêtre des éléphants asiatiques, Mme Theoret a cependant pu saisir la complexité de la problématique des éléphants laotiens: "Le grand problème provient de ce que les cornacs ne veulent et ne peuvent se séparer d'une femelle pour permettre à cette dernière de procréer, car la gestation dure deux ans, une période au cours de laquelle une femelle ne peut travailler au débardage. Résultat ? Le taux de natalité est en chute libre! La pyramide des âges est tout simplement catastrophique."
Des éléphants et des hommes
Pour tenter de contrer cette tendance, ElefantAsia a constitué un sanctuaire, un genre de maternité où des femelles vont séjourner pendant deux ans pour mettre bas et élever leur petit pendant que leurs propriétaires disposent d'un autre éléphant ou d'un petit tracteur en guise de remplacement. Le hic, c'est qu'un tel projet, où l'on ne peut accueillir que 12 femelles, coute cher et qu'il ne permet de traiter qu'un aspect du problème, car une proportion alarmante d'éléphants d'Asie sont par ailleurs atteints de tuberculose et qu'il faut débourser quelque 60 000 $ pour traiter un éléphant! Sur papier, il faudrait donc des millions pour sauver les éléphants du Laos. À défaut d'argent, on adopte d'autres solutions, comme l'idée avancée par Christine Theoret de permettre à des étudiants de cinquième année de la Faculté de médecine vétérinaire de faire un stage d'environ un mois au Laos afin de soutenir ElefantAsia.
Cet organisme a pour sa part entrepris une "révolution culturelle" au Laos au cours des dernières années: constatant que les éléphants y avaient perdu leurs lettres de noblesse, ElefantAsia a mis sur pied une manifestation culturelle pour tenter de réintroduire les éléphants dans le coeur des Laotiens. Deux moments forts de la fête sont le couronnement d'une "Miss Éléphant" et un immense défilé... d'éléphants évidemment! Bref, c'est peut-être par la culture et, éventuellement, le tourisme que les éléphants du Laos pourront éviter la disparition.
Mais il n'y a pas que les éléphants qui profiteront de tous ces efforts. La santé des Laotiens pourrait s'en trouver améliorée. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'un éléphant infecté peut contaminer son cornac et vice versa; et qu'un éléphant contaminé peut infecter un éléphant sauvage...
Pas étonnant donc que la première étudiante de l'Université de Montréal à effectuer un stage au Laos, Mylène Bastien-Larochelle, se soit intéressée à la santé de quelques dizaines de cornacs. "En fait, explique Christine Theoret, ma première stagiaire a collaboré à une étude de dépistage de la tuberculose chez l'éléphant du Laos, car on n'avait pas de données sur l'incidence de la maladie dans ce pays, seulement en Inde et au Népal. Cette étude a révélé qu'environ 20 % des éléphants adultes laotiens sont infectés par la même souche que celle qui atteint l'être humain, soit Mycobacterium tuberculosis. Durant son stage, Mylène a également travaillé aux côtés d'intervenants de l'unité de santé publique de la Faculté de médecine de l'Université de Vientiane, qui faisaient passer des tests aux cornacs d'éléphants infectés."
Comme quoi un projet "animalitaire" peut devenir un projet humanitaire...