La graine du noyau de la Terre est l'objet le plus caché de notre planète et son investigation est particulièrement difficile. Il y a plus d'une vingtaine d'années, les sismologues en ont révélé une propriété marquante, une anisotropie vis-à-vis des ondes sismiques. Les spécialistes du noyau cherchent depuis à en comprendre les causes. Dans une publication qui vient de paraître dans la revue Nature Geoscience, des géophysiciens du Laboratoire de géophysique interne et tectonophysique de Grenoble (INSU-CNRS, Université Joseph Fourier), proposent un modèle de cristallisation de la graine évoluant au cours du temps pour en expliquer la structure.
La graine est boule solide de 1220 km de rayon située au centre de la Terre, entourée du noyau liquide composé d'un alliage de Fer en fusion. Elle s'est formée et continue de croître par cristallisation du Fer à partir du noyau liquide qui se refroidit.
Depuis plus de 25 ans, les sismologues observent que la graine présente des particularités de structure: elle est anisotrope au sens où les ondes sismiques se propagent plus vite le long de l'axe de rotation terrestre que dans le plan équatorial. Ils soupçonnent l'existence d'un corps en son sein, qu'il conviendrait d'appeler "amande". Des études encore plus raffinées montrent que la couche superficielle de la graine (200km) est plutôt isotrope, mais que cette épaisseur peut varier de l'hémisphère ouest à l'hémisphère est.
Chaque colonne montre une évolution temporelle de la graine pour différentes viscosités (grandeur très mal connue). A gauche, une forte viscosité (10exp20 Pa s) à une viscosité 100 (centre) et 10000 (droite) fois plus faibles. La graine est coupée en quadrants la représentant des temps différents (1/4, 1/2, 3/4 et 1 son âge). La première ligne (a) montre les lignes de courant de l'écoulement. On voit qu'un mouvement s'établit entre la zone équatoriale et les pôles, et qu'au fur et à mesure que la graine vieillit, l'écoulement se concentre dans les couches superficielles de la graine. La seconde ligne (b) montre la figure de déformation induit par l'écoulement. D'après cette étude, il faut 1 milliard d'années pour que les écoulements très visqueux puissent donner une anisotropie à la graine. Temps qui se réduit à 10 millions d'années avec une viscosité plus faible. Ce dernier cas explique l'observation sismologique d'une couche isotrope à la surface de la graine.
La graine a évidement suscité de nombreuses études pour proposer des mécanismes qui expliqueraient l'anisotropie observée par les sismologues. Les minéralogistes ont tout d'abord montré que les cristaux de Fer dans les conditions de la graine sont anisotropes. Deux processus peuvent organiser les cristaux à l'échelle de la graine pour la rendre anisotrope: la solidification ou la déformation. Dans le premier cas, lors de la cristallisation de la graine à sa surface, les cristaux peuvent former des dendrites qui pénètrent dans le solide et la rende anisotrope. Dans le second cas, ce sont les cisaillements dans le solide qui produisent un réalignement des cristaux selon certains plans et produisent une anisotropie macroscopique. Reste à imaginer par quel processus géodynamique interne, la graine a acquise sa structure sismique d'anisotropie.
Le modèle présenté par les chercheurs grenoblois s'appuie sur l'idée, proposée en 1996 par une équipe japonaise, selon laquelle la cristallisation de la graine n'est pas homogène. En effet, la graine est refroidie par des mouvements de convection dans le noyau liquide. Il s'ensuit une cristallisation plus prononcée dans la zone équatoriale. Ce surplus de matière équatorial flue à l'intérieur de la graine et provoque des cisaillements. Cependant, ce modèle engendre une géométrie d'écoulement et une amplitude de cisaillement trop faible pour expliquer l'observation sismologique.
Les géophysiciens français y ont ajouté un nouvel ingrédient, la stratification chimique. En effet en mesurant la densité de la graine et du noyau liquides (la vitesse des ondes sismiques dépend de la densité du milieu), les sismologues ont prouvé que la graine est plus pure en Fer que le noyau liquide. Ainsi au fur et à mesure de sa croissance, le noyau liquide se concentre en éléments légers (S, O, Si, ...) si bien que le matériau qui cristallise sur la graine est lui-même de plus en plus riche en éléments légers, et donc de moins en moins dense. Ainsi la graine est stratifiée dynamiquement.
La matière plus légère cristallisée à l'équateur se répartit dans la graine sans pour autant y pénétrer profondément. Par le calcul numérique, les chercheurs ont montré l'existence de couches superficielles d'écoulement de l'équateur vers les pôles. Dans ces zones de fort cisaillement, l'anisotropie de solidification disparaît pour laisser place à une anisotropie de déformation orientée radialement et donc indétectable par les sismologues. Des travaux numériques de dynamo, comme ceux de l'équipe de J. Aubert de L'IPGP, ont montré que les variations latérales de températures à la base du manteau induisaient une signature hémisphérique de flux de chaleur à la surface de la graine. Ceci pourrait expliquer la variation d'épaisseur de la couche isotrope hémisphérique de la graine.
L'amande centrale, quant à elle, est vue dans cette approche comme un épisode convectif dans l'histoire de la graine. En effet, selon certains scénario, lorsque la graine est très jeune, d'âge inférieur à 500 Ma, la cristallisation est tellement rapide que la chaleur ne s'en évacue pas assez vite et une convection thermique doit se développer dans la graine pour la refroidir. Cette convection, interne à la jeune graine, a pour effet de la mélanger. Cet épisode se termine lorsque la matière qui cristallise est suffisamment légère pour qu'elle ne puisse pas s'enfouir dans les profondeurs de la graine.
Ainsi, l'anisotropie centrale est interprétée comme une anisotropie fossile de l'histoire de la graine. Il faut donc lire les structures sismiques de la graine comme des indicateurs révélant son histoire, celle du noyau, du champ magnétique et donc du système Terre dans sa globalité.