Trouver une double désintégration beta sans émission de neutrino !

Publié par Redbran le 22/01/2021 à 13:00
Source: CEA IRFU
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Trois nouveaux résultats pour la collaboration CUPID dans le cadre de la recherche de la double désintégration beta sans émission de neutrino !

La recherche d'une désintégration beta (0νββ) encore jamais détectée est l'un des enjeux majeurs de la physique contemporaine, car son observation trancherait sur la nature même du neutrino et potentiellement sur l'origine de l'asymétrie (L'asymétrie est l’absence de symétrie, ou son inverse. Dans la nature, les crabes...) matière/antimatière de notre univers. La collaboration CUPID, dont plusieurs chercheurs de l'Irfu et de l'IN2P3 font partie, recherche (La recherche scientifique désigne en premier lieu l’ensemble des actions entreprises en vue...) activement ce processus en utilisant des bolomètres scintillants comme détecteurs.

En juin 2020, l'expérience démonstratrice CUPID-Mo, qui était située au laboratoire souterrain de Modane, a démontré l'excellent potentiel de cette méthode de détection avec seulement 2,264 kg de cet isotope 100Mo et une année de prise de données (Dans les technologies de l'information (TI), une donnée est une description élémentaire, souvent...). Dans les prochaines années, l'objectif de la collaboration CUPID est de concevoir l'une des expériences les plus sensibles jamais construites en augmentant la masse totale de 100Mo (250 kg). Trois articles portant sur les choix technologiques et méthodologiques à entreprendre pour ce changement d'echelle, tout en maintenant les performances requises de l'expérience finale, viennent ainsi d'être publiés.


Figure 1: à gauche la 2νββ , à droite la 0νββ et leurs diagrammes de Feynman respectifs.


Figure 2: spectre de la somme des énergies des deux électrons émis. Dans le cas de la 0νββ on s'attend à un pic à l'énergie de transition Q.

Une plus grande masse pour de meilleurs chances...

D'un point de vue expérimental, il suffirait d'observer un pic à l'énergie de la désintégration 0νββ dans le spectre des électrons émis pour démontrer son existence (voir figure 2). Pour cela, la collaboration CUPID utilise la technique de détection dite “bolométrique”, c'est à dire utilisant un cristal scintillant composé d'un isotope susceptible de réaliser la 0νββ qui, lorsqu'une désintégration nucléaire (Le terme d'énergie nucléaire recouvre deux sens selon le contexte :) s'y produit, s'échauffe très légèrement et produit de la lumière.

L'élévation de température, reliée à l'énergie de l'évènement, est alors mesurée par un thermomètre (Un thermomètre est un appareil qui sert à mesurer et à afficher la valeur des...) ultra-sensible (NTD) collé sur l'une des faces du cristal tandis que la lumière est elle récoltée par un détecteur (Un détecteur est un dispositif technique (instrument, substance, matière) qui change...) de lumière placé au-dessus ou en-dessous du cristal, et sert à l'identification des évènements de bruit de fond (Dans son sens courant, le mot de bruit se rapproche de la signification principale du mot son....) α. Cependant, l'extrême rareté du processus 0νββ (dont le taux, actuellement contraint par les précédentes expériences, est inférieur à quelques désintégrations par kilogramme (Le kilogramme (symbole kg) est l’unité de masse dans le Système international...) de détecteur et par an) en fait un défi considérable et nécessite donc d'être capable de s'affranchir quasi totalement du bruit de fond.

Augmenter le temps d'exposition du détecteur et sa masse totale permet d'augmenter le nombre de désintégrations 0νββ potentielles, et ainsi l'intensité du pic recherché et donc les chances de l'observer. C'est pour cela que l'expérience CUPID vise à atteindre dans les années à venir la tonne de détecteur (dont 250 kg d'isotope) en utilisant plus d'un millier de cristaux scintillants de Li2MoO4, enrichis avec du 100Mo. Mais cela implique un effort technologique et méthodologique considérable pour s'assurer qu'un tel détecteur aura les mêmes performances que sa version à petite échelle. Ce développement technologique est l'objet de différentes expériences dites démonstratrices, comme l'était CUPID-Mo qui a déjà obtenu des résultats très encourageants, validant les cristaux scintillants de Li2MoO4 comme d'excellents détecteurs pour la recherche de la désintégration 0νββ.

Des cristaux cubiques plutôt que cylindriques

Au lieu de cristaux cylindriques comme ceux utilisés dans CUPID-Mo, des cristaux cubiques de Li2MoO4 sont dorénavant à l'étude, car ils permettent de réaliser des structures plus compactes (comme les tours de l'expérience CUORE, la grande soeur de CUPID, utilisant des cristaux cubiques de TeO2). Deux expériences démonstratrices ont livré leurs résultats en novembre à ce sujet:

- L'une s'est déroulée au LNGS (Laboratori Nazionali del Gran Sasso, Italie) et a étudié une structure composée de 8 cristaux cubiques (figure 3) ainsi que l'effet d'un film réfléchissant entourant la moitié d'entre eux sur la quantité de lumière de scintillation collectée par les détecteurs de lumière [1].


Figure 3: tour formée des 8 cristaux d'environ 280g chacun, étudiés dans l'expérience réalisé au LNGS. On distingue les deux étages de 4 cristaux cubiques ainsi que les détecteurs de lumières circulaires situés au-dessus et en dessous représentés ici en gris foncé


Figure 4: bolomètre utilisé dans le cryostat de CROSS avec les différents éléments le composant. Sur cette photo, le détecteur de lumière n'est pas présent.

- La deuxième a pris place dans le dispositif expérimental de l'expérience CROSS au LSC (Laboratoire Souterrain de Canfranc, Espagne) dont le cryostat a l'avantage d'utiliser la même technologie que celui de l'expérience CUORE (censé accueillir l'expérience CUPID in fine), et donc d'approcher les conditions expérimentales de la future expérience [2].

Ces deux études ont confirmé les excellentes performances des cristaux de Li2MoO4 cubiques, avec une résolution en énergie entre 6 et 7 keV dans la région d'intérêt du 100Mo approchant alors l'objectif des 5 keV fixé par la collaboration CUPID ! De plus, un rejet total des événements dû aux particules α est assuré avec ou sans film réfléchissant. La compatibilité de ces résultats avec ceux de CUPID-Mo a donc validé la possibilité d'utiliser cette géométrie (La géométrie est la partie des mathématiques qui étudie les figures de l'espace...) de bolomètre pour l'expérience CUPID.

Une nouvelle méthode pour étudier les empilements de signaux

Les bolomètres sont des détecteurs relativement lents. C'est-à-dire, que le cristal peut mettre plusieurs centaines de ms pour retourner à son équilibre thermique (La thermique est la science qui traite de la production d'énergie, de l'utilisation de...) lorsque qu'un événement se produit à l'intérieur. Ceci implique que si deux événements se produisent dans un laps de temps trop court pour que leurs signaux soient séparés, ils sont alors confondus en un seul signal avec une énergie erronée pouvant tomber dans la région d'intérêt.

Ce phénomène, bien que restant très rare, constitue l'une des problématiques majeures de CUPID pour atteindre un niveau de bruit de fond toujours plus bas, car le 100Mo est l'isotope ayant la demi-vie (La demi-vie est le temps mis par une substance (médicament, noyau radioactif, ou autres) pour...) de la 2νββ la plus courte de tous les noyaux pouvant la réaliser (T1/22νββ=7,1 x 1018 ans), multipliant alors les signaux dans le détecteur et les chances d'un empilement.

Afin d'étudier la contribution de ce processus au bruit de fond ainsi que le pouvoir de discrimination de ces événements, une nouvelle méthode a été développée: à l'aide d'un élément résistif (appelé “heater”) collé sur l'une des faces d'un cristal de Li2MoO4 (figure 4), des empilements de signaux avec une forme très proche de celle d'un événement 2νββ ont été injectés (figure 5). En faisant varier leur écart en temps ainsi que leur amplitude (Dans cette simple équation d’onde :), leur étude a permis d'identifier des paramètres reliés à la forme du signal afin de rejeter les empilements avec une efficacité supérieure à 90% si les deux signaux arrivent dans une fenêtre de temps supérieur à 2 ms [3].

Cette méthode a l'avantage d'étudier le phénomène directement au travers de la réponse du détecteur, au contraire des simulations, et constitue donc une voie prometteuse pour étudier d'autres paramètres et améliorer son pouvoir de rejet, et ainsi atteindre les objectifs de bruit de fond requis par CUPID: rejeter les empilements au-delà de 1 ms.


Figure 5: A gauche, la réponse du détecteur pour les différentes formes de signaux injectés. Un signal injecté avec une forme en dent de scie (courbe rouge) donne la réponse la plus proche de la forme d'un vrai signal (courbe noire). A droite, la différence de forme entre un seul signal et un empilement de deux signaux séparés de 15 ms et 30 ms.

Dans les mois à venir, CUPID va continuer sa transition vers une expérience à l'échelle de la tonne en testant par exemple une nouvelle stratégie d'assemblage pour les détecteurs et une nouvelle configuration des tours au LNGS, promettant ainsi encore des avancées encourageantes en 2021 et de nouvelles perspectives de découverte pour la collaboration.

L'année 2020 a donc été riche en résultats pour la collaboration CUPID avec trois articles que vous pouvez retrouver en version pré-publiée ici:
* [1] Characterization of cubic Li2MoO4 crystals for the CUPID experiment: https://arxiv.org/abs/2011.13656
* [2] A CUPID Li2MoO4 scintillating bolometer tested in the CROSS underground facility: https://arxiv.org/abs/2011.13806
* [3] A novel technique for the study of pile-up events in cryogenic bolometers: https://arxiv.org/abs/2011.11726

ainsi que le fait marquant précédent sur les résultats de CUPID-Mo:
http://irfu.cea.fr/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast.php?t=fait_marquant&id_ast=4801
et tous les faits marquants sur cette R&D depuis 2017.

Contacts Irfu: Claudia Nones, Antoine Armatol
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