Frantz Le Devedec, étudiant au doctorat en chimie, étudie les applications des acides biliaires dans le domaine du médicament. (photo: Bruno Girard)
Julian Zhu et son équipe de l'Université de Montréal ont trouvé un filon qu'ils ne sont pas près de laisser tomber: les acides biliaires. "Chaque mammifère possède de trois à cinq grammes de ces composés sous forme de sels dans leur vésicule biliaire. Ces acides digèrent les matières qui ne sont pas solubles dans l'eau, comme les gras. On les dit amphiphiles, c'est-à-dire qu'ils aiment et détestent l'eau à la fois. Cette propriété en fait des composants de choix pour une foule d'applications biomédicales et pharmaceutiques", explique le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biomatériaux polymériques et professeur au Département de chimie de l'Université de Montréal.
En 2009, le professeur Zhu a créé l'évènement en publiant un article qui proposait de modifier les préparations des amalgames et des résines dentaires, qui contiennent respectivement du mercure et du bisphénol A. Ces matériaux reconnus toxiques pourraient être remplacés par un composé naturel fait à base... d'acides biliaires ! "Ces molécules sont biocompatibles et offrent une résistance mécanique nécessaire à l'élaboration des résines", mentionne-t-il.
Depuis, Julian Zhu ne cesse de recevoir des courriels d'individus enthousiastes à l'idée de profiter de cette innovation. Ils devront toutefois patienter encore quelques années. Le chimiste travaille présentement sur une nouvelle génération de résines dentaires avec l'aide de Daniel Fortin, professeur à la Faculté de médecine dentaire, et Sophie Lerouge, professeure à l'École de technologie supérieure, associée au CHUM. "Nous avons entre autres amélioré la viscosité du composite et cherchons à renforcer sa résistance mécanique", affirme-t-il. Le reste est un secret d'inventeur... "Nous avons l'intention de déposer une demande de brevet avant de publier les résultats", annonce-t-il.
Augmenter l'efficacité des médicaments
En parallèle, le professeur Zhu exploite les dérivés d'acides biliaires pour en faire des micelles. "Ce sont des véhicules pour transporter des médicaments qui sont insolubles dans l'eau, illustre-t-il. C'est le cas de plusieurs traitements antifongiques et antitumoraux, comme le Taxol."
Étant donné leur insolubilité, ces médicaments ont une faible biodisponibilité. Seulement un petit pourcentage de la quantité absorbée par le patient agira. "À l'aide des molécules amphiphiles, on augmente la solubilité de ces traitements et donc leur efficacité, remarque Julian Zhu. Les patients en consommeront moins, ce qui diminuera les effets secondaires et la facture de pharmacie."
Il espère collaborer étroitement avec certaines compagnies pharmaceutiques afin que ce procédé puisse être commercialisé bientôt.
Julian Zhu
Des matériaux intelligents et biodégradables
Un autre projet auquel tient Julian Zhu est celui des matériaux à mémoire de forme. En polymérisant les acides biliaires, c'est-à-dire en en faisant une macromolécule, il a obtenu des matériaux intelligents qui ont la capacité de reprendre leur taille après une déformation au moyen d'un stimulant tel que la chaleur, le froid ou la lumière.
"Cela peut se révéler très utile dans le cas des tubes chirurgicaux, signale le chercheur. Si le canal n'est pas assez large, on peut en augmenter la taille en y appliquant de la chaleur. Après coup, on pourra procéder inversement pour qu'il retrouve sa forme initiale."
M. Zhu et son équipe ont aussi créé des polymères biodégradables, toujours à partir d'acides biliaires. "On pourrait les utiliser pour protéger une zone de peau brulée en les combinant avec un traitement pour favoriser le renouvèlement de l'épiderme. Le tout se dégraderait doucement pendant que la peau se régénère. Comme les acides biliaires sont déjà naturellement traités par le corps, il ne devrait pas y avoir de problème de biocompatibilité."
Par le passé, Julian Zhu a également exploité les acides biliaires pour réduire les risques de maladies cardiovasculaires. "Les acides biliaires sont synthétisés biologiquement dans le foie, à partir du cholestérol, note-t-il. Chaque jour, on perd environ un demi-gramme de ces molécules dans la circulation entérohépatique. Le corps compense cette perte en faisant la synthèse du cholestérol. Si l'on réussit à accélérer ce processus, on serait capable d'abaisser le taux de cholestérol plus rapidement. Notre approche se distingue des autres, car elle est non effractive."
Actuellement, ce projet est mis en veilleuse au profit des résines dentaires, des micelles et des matériaux à mémoire de forme, mais le professeur Zhu compte bien y revenir un jour. En attendant, son équipe et lui ont déposé quatre demandes de brevets, dont l'une a déjà été approuvée. Et d'autres suivront, assure-t-il, un sourire en coin. "Les acides biliaires ne cessent de nous étonner. On va de découverte en découverte au fil de nos projets."