L'anguille entre deux eaux

Publié par Adrien,
Source: Jean Hamann - Université LavalAutres langues:
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La conservation de l'anguille d'Amérique est un véritable casse-tête pour les aménagistes de la faune. En effet, les populations de cet intrigant poisson se portent très bien dans les eaux saumâtres ou salées des côtes atlantiques, mais celles qui vivent en eau douce ont périclité, notamment dans le lac Ontario et le secteur amont du fleuve Saint-Laurent où les effectifs de l'espèce ont chuté de 99% depuis 1980. "Comme les deux écotypes appartiennent à une même population génétique et que les stocks côtiers sont prospères, il est difficile de faire adopter des mesures de protection pour l'espèce", souligne le professeur Louis Bernatchez, du Département de biologie. Une étude que le chercheur et ses collaborateurs viennent de publier dans Current Biology pourrait toutefois faire changer les choses.


Les différences morphologiques entre les anguilles qui ont grandi en eau douce et celles qui ont grandi en milieu côtier sont manifestes sur cette photo. Contrairement à ce que les scientifiques croyaient, ces différences ont des assises génétiques.

Pour bien saisir la portée de leurs travaux, il faut savoir que toutes les anguilles d'Amérique, de Cuba au Groenland, se donnent rendez-vous chaque année dans un endroit encore inconnu de la mer des Sargasses, à l'est des Bermudes, pour se reproduire. Mâles et femelles fraient sans égard à leur lieu d'origine, ce qui assure un vigoureux brassage de gènes entre les deux écotypes. Dans les mois qui suivent, les jeunes anguilles sont transportées au gré des courants. Certaines s'établiront dans des habitats côtiers alors que d'autres éliront domicile en eau douce. Elles resteront dans le milieu qu'elles ont choisi jusqu'à ce qu'elles atteignent l'âge de la reproduction.

"Il y a d'importantes différences morphologiques entre les deux écotypes, souligne le professeur Bernatchez. Les anguilles de milieu côtier ont un taux de croissance beaucoup plus rapide et elles atteignent la maturité sexuelle à partir de l'âge de trois ans. Les anguilles qui vivent en eau douce croissent très lentement et il leur faut jusqu'à 25 ans pour devenir adultes. Certaines d'entre elles mesurent plus de 1 mètre au moment de leur migration reproductrice, ce qui en fait des prises intéressantes pour les pêcheurs."

Comme toutes les anguilles appartiennent à la même population, les scientifiques croyaient que les différences observées entre les écotypes dépendaient essentiellement de l'environnement. Pour en avoir le coeur net, le professeur Bernatchez et ses collaborateurs ont comparé plus de 42000régions du génome de 384anguilles capturées dans des habitats d'eau douce ou d'eau salée du Saint-Laurent et de la côte atlantique. Résultat? "Nous avons découvert 331variations génétiques propres à chacun des deux écotypes, résume le chercheur. Ces différences nous permettent de déterminer avec 90% de succès à quel écotype appartiennent des anguilles dont on ne connaît pas la provenance géographique. C'est quelque chose d'unique parce qu'on parvient à classer en deux groupes distincts des anguilles qui appartiennent à une seule population génétique."

Selon le professeur Bernatchez, ces différences entre les deux écotypes seraient le fruit de la sélection naturelle. "Les anguilles qui possèdent certaines combinaisons de gènes sont mieux adaptées pour survivre en eau douce alors que d'autres combinaisons sont favorisées en eau salée. Celles dont le bagage génétique est moins bien adapté au milieu où elles se trouvent ont un taux de survie plus faible."

Ces nouvelles connaissances sur la génétique de l'anguille d'Amérique pourraient avoir des répercussions sur la gestion de l'espèce, estime le chercheur. "Auparavant, on croyait que les anguilles des deux groupes étaient génétiquement similaires et interchangeables. Nos données montrent que ce n'est pas le cas. On ne peut donc pas envisager de restaurer les populations d'eau douce du Saint-Laurent et du lac Ontario à l'aide d'anguilles capturées en milieu côtier. Il faut plutôt privilégier les mesures visant à conserver les populations d'anguilles vivant en eau douce, notamment celles qui leur permettraient d'éviter les turbines des centrales hydroélectriques installées sur le Saint-Laurent."

L'article paru dans Current Biology est signé par Scott Pavey, Jérémy Gaudin, Éric Normandeau et Louis Bernatchez, du Département de biologie et de l'Institut de biologie intégrative et des systèmes, Mélanie Dionne, du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Martin Castonguay, de Pêches et Océans Canada, et Céline Audet, de l'UQAR.
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