Un consortium franco-italien, coordonné par une équipe du Centre INRA de Nancy et impliquant le Genoscope (1), le CNRS, et les Universités de Lorraine et de Méditerranée publie aujourd'hui un article sur le séquençage et le décryptage du génome de la très réputée truffe noire du Périgord (Tuber melanosporum). Cette avancée permet de mieux comprendre la biologie de cette espèce, la formation de ce précieux champignon et l'évolution de la symbiose entre arbres et champignons. La truffe noire du Périgord a été choisie du fait de son importance agronomique et culturelle. Le détail de ces résultats est publié dans l'édition avancée en ligne de Nature du 28 mars 2010.
Fruit de 5 années de travail, le premier décryptage du génome d'un champignon comestible, la truffe, est achevé. Conduit par un consortium franco-italien de 50 scientifiques, coordonné par l'INRA, le séquençage du génome de T. melanosporum a été réalisé en 2007 au Genoscope à partir d'une lignée issue d'une truffe récoltée en Provence. Les étapes complémentaires de mise en forme du séquençage brut initial se sont poursuivies pendant deux ans par une analyse fine et détaillée du génome de ce champignon par des laboratoires français de l'INRA, du CNRS, du CEA, des universités de Lorraine et de la Méditerranée et leurs collègues italiens de Turin, Parme, Pérouge, Urbino, Rome et l'Aquila. Ces travaux sont complétés par l'étude des gènes exprimés lors de la formation de la truffe et de la symbiose mycorhizienne (2) au niveau des racines de l'arbre.
La truffe est le fruit du mariage entre des filaments souterrains de T. melanosporum et des ramifications de la racine de certains arbres, comme les chênes. De cette relation naissent des mycorhizes, organes symbiotiques mi-champignon, mi-racine. Le génome de la truffe, le plus grand connu chez les champignons, comprend 125 millions de paires de bases. Cette taille remarquable s'explique par la présence de séquences répétées (58%) dont l'impact sur la diversité de l'espèce est en cours d'étude. Le génome contient 7 500 gènes codant pour des protéines dont environ 6 000 sont similaires aux gènes d'autres champignons. Toutefois, plusieurs centaines de gènes sont uniques à la truffe et jouent un rôle fondamental dans la mise en place de la formation du champignon et de la symbiose avec la plante-hôte. Leur étude nous renseignera sur les mécanismes conduisant à la formation de cette étrange fructification (3) souterraine.
Des résultats majeurs pour comprendre l'évolution de la symbiose mycorhizienne
L'analyse comparée du génome de la truffe avec ceux du laccaire, autre champignon symbiotique séquencé récemment (4), a ainsi révélé que l'organisation de leur génome était très différente, ainsi que les mécanismes employés pour dialoguer et interagir avec leur plante-hôte. Ces informations montrent l'extraordinaire diversité par laquelle les champignons symbiotiques interagissent avec leurs partenaires en utilisant des boîtes à outils moléculaires variées. Il est donc indispensable désormais d'étudier d'autres génomes de champignons symbiotiques afin de déterminer le degré de diversité et de flexibilité des processus moléculaires impliqués dans l'interaction. Les résultats acquis sur cette symbiose aideront les chercheurs à comprendre les autres associations entre arbres et champignons mises en place il y a plus de 200 millions d'années.
Un fichier d'empreintes génétiques pour le "typage" des origines géographiques
Au-delà de son intérêt académique, le séquençage complet du génome de la truffe noire du Périgord a permis le développement d'outils de diagnostic à haut débit du polymorphisme génétique de ce produit réputé. En effet, depuis des siècles, de fortes variations dans les propriétés organoleptiques des truffes ont été constatées selon les régions de récolte (Périgord, Provence...), la nature des sols et le degré de maturité. Le séquençage de l'ADN a permis d'identifier plusieurs milliers de marqueurs génétiques répartis sur tout le génome. Une dizaine est actuellement utilisée afin de constituer un fichier d'empreintes génétiques d'une cinquantaine de populations de Tuber melanosporum provenant d'Italie, d'Espagne et de France. Ce fichier d'empreintes génétiques facilite le "typage" des origines géographiques des truffes récoltées et permettra la mise en place d'outils de certification de ces produits et la détection d'éventuelles fraudes. En outre, la connaissance des mécanismes contrôlant la compatibilité sexuelle entre truffes devrait permettre une meilleure gestion de la diversité génétique dans les truffières via le choix du sexe des truffes inoculées sur les racines des arbres.
Vers une meilleure compréhension des caractéristiques aromatiques de la truffe
L'analyse du génome a confirmé l'absence de composés allergéniques et de mycotoxines chez ce champignon consommé depuis des millénaires. L'étude des gènes exprimés lors de la formation de la truffe a mis en évidence la forte activité des voies de biosynthèse des composés soufrés volatiles et des aldéhydes contribuant aux arômes si appréciés du "diamant noir". Cette connaissance des caractéristiques génétiques de la production d'arômes favorisera la sélection de souches de truffes aux qualités organoleptiques optimales et la mise au point d'outils de diagnostic permettant de guider objectivement le choix des trufficulteurs.
Notes:
(1) Genoscope, Institut de génomique, Direction des sciences du vivant, Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, Evry.
(2) La symbiose mycorhizienne désigne l'association entre des champignons et les racines d'un végétal. Les champignons aident les végétaux à puiser des éléments nutritifs dans le sol; en échange les végétaux fournissent aux champignons l'énergie qu'ils sont incapables de tirer eux même du soleil.
(3) La fructification désigne l'organe du champignon portant les spores, permettant d'accomplir le cycle de vie ; ici la truffe.
(4) F. Martin et al. "The genome of Laccaria bicolor provides insights into mycorrhizal symbiosis", NATURE, 06-03-2008