Une phase exotique sur une puce atomique

Publié par Isabelle,
Source et illustration: ULBAutres langues:
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Le développement des technologies modernes est basé sur une compréhension approfondie des propriétés de transport au sein de la matière. Les appareils électroniques et les ordinateurs reposent en effet sur la possibilité de générer et de contrôler des courants d'électrons, particules présentes en abondance dans les matériaux. En exploitant leur charge électrique ainsi que leurs réponses aux champs électromagnétiques, ces particules sont minutieusement guidées le long de circuits formés de matériaux conducteurs. Le transport d'information dont nous bénéficions quotidiennement est ainsi associé à une propriété intrinsèque de l'électron: sa charge. Outre sa masse et sa charge, l'électron possède une autre propriété dont l'existence ne fut dévoilée qu'avec l'élaboration de la mécanique quantique. Cette propriété, appelée spin, peut être imaginée comme provenant d'une rotation fictive de la particule sur elle-même et joue un rôle fondamental pour l'étude du magnétisme. Contrairement à sa charge, le spin de l'électron peut prendre deux valeurs distinctes et contient ainsi une quantité d'information plus importante. En maîtrisant ce degré de liberté supplémentaire, des chercheurs envisagent une révolution des technologies modernes, communément appelée spintronique. Aujourd'hui, la réalisation et le contrôle des courants de spins représentent un champ de recherche en plein développement.


Réalisation de courants de spins sur une puce atomique - Illustration: ULB

En 2007, une nouvelle famille de matériaux, nommés isolants topologiques, fut mise en évidence au laboratoire [Laboratoire dirigé par H. Buhmann à l'Institut de Physique de l'Université de Wurzburg]. Contrairement aux isolants habituels, qui ne conduisent pas de courant électrique, ceux-ci présentent des courants de spins qui circulent le long du bord des échantillons. De façon remarquable, ce transport de spins s'effectue sans perte d'énergie et se révèle extrêmement robuste face à des perturbations exercées sur le système. La robustesse de ce phénomène, nommé "effet Hall quantique de spin", s'explique de façon élégante au niveau théorique: lorsqu'il se manifeste, le matériau entre dans une nouvelle phase caractérisée par un invariant topologique (un nombre mathématique qui ne peut changer de valeur sous de petites déformations). Cette phase particulière de la matière est exotique, dans le sens où elle ne peut être classée selon les critères habituels développés par la théorie des transitions de phases.

Les matériaux caractérisés par l'effet Hall quantique de spin présentent malheureusement de nombreuses imperfections, comme des impuretés ou des interactions accidentelles entre les particules. Ces défauts masquent de façon considérable certains effets intéressants et rendent difficile l'application des isolants topologiques dans l'industrie. Une meilleure compréhension des isolants topologiques requière ainsi des dispositifs plus propres et maniables.

Les atomes froids, des atomes piégés et refroidis par des lasers, constituent un terrain de jeu idéal pour explorer les phases exotiques de la matière. Ces systèmes artificiels offrent en effet la possibilité de contrôler les interactions entre les particules et ne comportent pas d'impureté, contrairement aux matériaux classiques. Dans ce sens, les atomes froids sont des simulateurs quantiques qui exploitent des technologies expérimentales de pointe. En particulier, ces systèmes permettent de manipuler les spins des atomes avec une grande précision. Reproduire des isolants topologiques en contrôlant la dynamique de ces atomes froids offrirait une approche idéale de l'effet Hall quantique de spin au sein d'un laboratoire.

Dans un article récemment accepté dans la prestigieuse revue Physical Review Letters, une équipe de chercheurs internationale décrit une telle expérience. Ce travail est le résultat d'une collaboration réunissant des théoriciens [N. Goldman (Université Libre de Bruxelles), A. Bermudez, M. A. Martin-Delgado (Universidad Complutense, Madrid), M. Lewenstein (Institut des Sciences Photoniques-ICFO, Barcelone), I. Satija, P. Nikolic (NIST, Maryland, USA)] et l'expérimentateur I. Spielman du National Institute of Standards and Technology (NIST). Ensemble, ils ont élaboré un dispositif ingénieux permettant de produire des isolants topologiques en manipulant des atomes froids placés sur une puce. Celle-ci contient de nombreux fils électriques créant des champs magnétiques complexes, qui à leur tour confinent et dirigent le mouvement des atomes. En contrôlant ces champs magnétiques, sur base de méthodes expérimentales développées par I. Spielman au NIST, ces auteurs montrent que le système atomique peut entrer dans une phase topologique caractérisée par l'effet Hall quantique de spin. Les auteurs proposent également une méthode efficace pour détecter les courants de spin qui émergent dans ce nouveau contexte.

La réalisation de liquides topologiques avec des atomes froids approfondira nos connaissances de ces phases exotiques et guidera très certainement le développement de la spintronique et de la communication quantique.

References
Realistic Time-Reversal Invariant Topological Insulators With Neutral Atoms (to appear in Physical Review Letters)
Authors: N. Goldman, I. Satija, P. Nikolic, A. Bermudez, M. A. Martin-Delgado, M. Lewenstein and I. B. Spielman.
Preprint: arXiv:1011.3909
Contact information: Dr. Nathan Goldman, [email protected]
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