Au lendemain de Noël 2004, le grand séisme de Sumatra-Andaman de magnitude 9,3 rompait 1600 km de limite de plaques depuis le nord de Sumatra, près de l'île de Simeulue, jusqu'aux îles Andaman. Le sud ne fut pas affecté. Seulement trois mois plus tard, le 28 mars 2005, un autre tremblement de terre de magnitude 8,7 survenait, juste 150 km au sud du séisme de 2004, et rompait 350 km de limite de plaques. Si ce second séisme avait eu lieu le 26 décembre, la magnitude combinée des deux séismes aurait atteint 9,6, conduisant à un désastre inimaginable. Le 11 mars dernier, le séisme du Japon de magnitude 9, s'est arrêté heureusement au nord de Tokyo. Les questions qui se posent à la suite de ces deux événements sont: Pourquoi une rupture sismique s'arrête-elle? Et, qu'est-ce qui contrôle la taille d'un tremblement de terre? Dans un article publié récemment dans la revue Nature Geoscience, une équipe de chercheurs français, britanniques et indonésiens montrent qu'un mont sous-marin, profondément enfoui par subduction, pourrait empêcher la propagation de la rupture et limiter la taille maximale d'un séisme.
Zone d'étude du gap sismique de Sumatra. Le trait rouge indique le trajet du profil sismique CGGV040, à l'extrémité duquel se trouve la position du mont sous-marin (pointillé noir). La zone de rupture du séisme de 2007 est en brun-rouge, et l'étoile bleu marque son épicentre. Les séismes survenus entre 1976 et 2008 sont indiqués par leur mécanismes aux foyers. Le cercle noir en pointillé est une zone sans séisme. La ligne jaune indique la rupture du séisme de 1833 et la ligne en pointillé bleu la zone faiblement couplée.
Dans le cadre d'un programme pré-tsunami financé par CGGVeritas avec un soutien de l'INSU et de l'IPGP, une équipe de chercheurs français de l'Institut de Physique du Globe de Paris (CNRS, Pres Sorbonne, Paris Diderot) et indonésiens de LIPI... ont procédé en mai 2009 à une campagne d'imagerie sismique de la zone de subduction au large de Sumatra, bénéficiant de la technologie avancée du navire Geo Searcher de CGGVeritas.
Lors de cette campagne, une flute marine de 15 kilomètres de long portant une série d'hydrophones espacés tous les 12,5 mètres était tractée. C'est le plus long dispositif d'imagerie sismique jamais déployé. Une large source de canons à air émet un signal riche en basses fréquences pénétrant profondément dans le sol. Après réflexion sur les interfaces des couches du sous-sol marin, le signal est enregistré par trois flutes tractées à différentes profondeurs permettant ainsi d'augmenter l'énergie sismique récupérée. Plus de 1750 km de profils de sismique réflexion ont ainsi été acquis durant les trois semaines de mesures. La plupart des profils ont une longueur de 250 km et traversent le front de subduction, l'avant-arc, et le bassin d'avant arc. Les données ont été traitées par CGGVeritas au Centre de traitement de données de Massy.
Profil sismique CGGV040 interprété. Le sommet de la croûte océaniques est délimité en bleu, la limite croûte-manteau (MOHO) en noir pour le MOHO océanique et en brun pour le MOHO continental, la failles sont figurées en rouge. Le mont sou-marin apparaît comme un dôme.
Schéma interprétant le profil sismique. Le trait plein violet indique la zone de glissement pur au-dessus du mont sous-marin tandis que la ligne pointillée violette indique la zone faiblement couplée.
Les images de sismique réflexion obtenues sont d'une qualité sans précédent et montrent l'image de la plaque indo-australienne en subduction avec des failles s'enfonçant depuis le plancher océanique jusqu'à 50 km de profondeur, quand les techniques conventionnelles permettaient d'imager jusqu'à 10 à 15 km. Un des profils a été acquis à l'extrémité sud du séisme de 2007 (Mw=8.5), où les données GPS suggèrent l'existence d'une zone 'asismique'. Cette limite coïncide également avec la limite sud du séisme de 1888 (M~9) et un haut fond relié aux îles Mentawai.
L'image sismique révèle la présence au sud-ouest de Sumatra d'un mont sous-marin subducté haut de 3-4 km et large de 40 à 50 km, le plus profond jamais observé, enfoui jusqu'à 30 à 40 km à 160-190 km du front de la subduction. Bien qu'une part de ce massif puisse avoir été arraché, une partie significative a été emporté sous le manteau de l'avant arc. Ce mont sous-marin coïncide avec une zone d'un diamètre de 50 km, totalement dénuée de sismicité, suggérant que ce mont sous-marin est responsable de cette absence de sismicité.
Une libération excessive de fluides du mont sous-marin et des sédiments sus-jacents riches en fluides aurait serpenté le manteau de l'avant-arc, permettant un glissement du mont sous-marin sans aucune sismicité. La bathymétrie faible dans le sillage du massif, pourrait être due à l'érosion basale de la plaque supérieure par le mont et la subsidence succédant à son passage. Le passage du mont sous-marin en subduction, et l'érosion basale associée pourraient former un tunnel rempli de matériel arraché à la base de la plaque supérieure, ce qui augmenterait potentiellement la migration de fluides et aurait pour effet de diminuer le couplage des deux plaques dans le sillage du mont sous-marin. Ainsi le passage d'un mont sous-marin produirait une segmentation de la zone de subduction et réduirait la taille maximale possible des tremblements de terre.
Ces résultats suggèrent qu'en l'absence d'images sismiques directes de monts sous-marins subductés et de données géodésiques, les gaps sismiques dans l'avant arc et les anomalies bathymétriques pourraient être utilisés pour identifier la trace d'objets géologiques subductés et par conséquent définir une segmentation de la zone de subduction, ce qui permettrait également d'estimer la taille maximale possible des séismes.