Les approches évolutives actuelles tendent à réduire l'hérédité aux seuls transferts de gènes. Cependant, de plus en plus d'arguments montrent que des informations non codées dans la séquence de l'ADN sont aussi transmises de génération en génération, et que, tout comme l'ADN, elles participent à l'évolution. Dans un article publié dans Nature Reviews Genetics, une équipe internationale à laquelle participent trois chercheurs du Laboratoire évolution et Diversité Biologique (EDB, UMR 5174 CNRS-Université Paul Sabatier-ENFA) appelle à un changement de paradigme et à intégrer l'hérédité non génétique dans la théorie de l'évolution.
La reproduction est le propre du vivant. Elle nécessite la transmission d'informations, génétiques ou non, entre générations. L'évolution n'affecte que la variation transmise. Aujourd'hui, les arguments s'accumulent qui montrent que l'évolution ne se cantonne pas à la seule information génétique, mais touche aussi à la transmission d'informations non contenues dans l'ADN. Celles-ci vont de la transmission de variation dans l'expression des gènes (ce que l'on appelle la variation épigénétique), à l'hérédité écologique et culturelle en passant par les effets parentaux. Il s'agit par exemple, chez l'homme, du savoir transmis socialement sur les risques d'ingestion de tel ou tel champignon.
L'article publié fournit de nombreux autres exemples de ces informations non génétiques, comme la tendance qu'ont les cafards à fuir la lumière, un comportement que l'on pensait entièrement contrôlé par les gènes avant qu'une étude ne montre qu'il est en partie acquis suite à des interactions sociales. Autre exemple: plusieurs travaux suggèrent que la manière de chanter chez certains oiseaux, appelée dialecte et dont on sait qu'elle est souvent transmise indépendamment de la variation génétique, peut conduire à l'isolement de groupes d'individus et à la spéciation, c'est-à-dire à l'apparition d'une nouvelle espèce.
C'est donc la complexité des interactions entre les divers systèmes d'hérédité, génétiques ou non, qui crée la richesse des processus évolutifs et produit la diversité biologique. L'étude propose donc de faire entrer l'hérédité non génétique dans les approches écologiques et évolutives et d'élargir ainsi le champ de la théorie synthétique de l'évolution qui a été formulée dans les années 1930 et 1940 lorsque la génétique a été intégrée dans la théorie darwinienne. On peut en quelque sorte considérer que cette vision centrée sur l'ADN est à la théorie de l'évolution ce que la mécanique newtonienne était à la théorie de la gravitation. Aller au-delà du dogme du "tout génétique" en prenant en compte toutes les formes d'hérédité pourrait conduire à une compréhension plus profonde des sciences de l'évolution et de la biodiversité, tout comme Albert Einstein, avec sa théorie de la relativité, avait bouleversé toute l'astrophysique.