La consommation excessive de boissons énergisantes pourrait jouer un rôle dans le déclenchement des phases maniaques ou dépressives chez des patients souffrant d'un trouble bipolaire et de problèmes de toxicomanie. C'est ce que présument des chercheurs en psychiatrie de l'Université de Montréal qui ont rapporté les résultats d'une étude de trois cas dans le dernier numéro de Bipolar Disorders.
"C'est un phénomène que nous observons depuis plusieurs années. Nous avons des patients qui présentent une humeur stable et ne consomment plus de substances psychotropes et qui, subitement, revivent des hauts et des bas", remarque Élie Rizkallah, étudiant à la maitrise à la Faculté de médecine et évaluateur clinique à la clinique Nouveau Départ, fondée par le Dr Jean-Pierre Chiasson.
Quand on les questionne, ces patients révèlent souvent avoir consommé de grandes quantités de boissons énergisantes dans les jours précédents. Or, ces boissons sont reconnues pour contenir d'importantes doses de caféine, un psychostimulant qui module la transmission de la dopamine comme le font aussi les drogues telles que la cocaïne et les amphétamines.
Jusqu'à tout récemment, une seule canette de boisson énergisante pouvait contenir l'équivalent de cinq tasses de café. Au mois d'octobre, Santé Canada a imposé aux fabricants une limite de 180 mg de caféine par canette, soit environ un café moyen. "On sait qu'une intoxication à la caféine survient lorsqu'on en boit 250 mg et plus", précise M. Rizkallah, dont les travaux sont supervisés par le professeur Stéphane Potvin.
Élie Rizkallah
Les cas relatés dépassaient largement cette dose. Dans les semaines précédant leur hospitalisation, M. A buvait jusqu'à six petites canettes par jour, Mme B en consommait un maximum de huit et M. C en avalait neuf au plus.
Mme B a même affirmé que la consommation de boissons énergisantes faisait naitre chez elle des envies de cocaïne, ce qui l'a ultimement conduite à en prendre de nouveau.
Malgré leur passé de toxicomanes, MM. A et C n'avaient touché à aucune drogue au moment de leur hospitalisation. La caféine aurait peut-être interagi avec leur médication en inhibant leurs effets. Notons que ces deux patients sont toujours suivis et n'ont plus connu d'épisodes maniaques ou dépressifs. Ils ont par ailleurs arrêté de consommer des boissons énergisantes. Quant à Mme B, elle a rechuté et n'a plus donné signe de vie.
"Deux cas similaires ont été signalés récemment, mais aucun ne faisait référence à la toxicomanie, mentionne Élie Rizkallah. Pourtant, c'est une composante majeure de la maladie affective bipolaire: environ 56 % ou plus des patients qui en souffrent ont des problèmes d'alcool ou de drogue. Comme la probabilité d'accoutumance est élevée, il est normal que la caféine et les autres stimulants contenus dans les boissons énergisantes représentent un risque."
M. Rizkallah ne peut toutefois établir un lien de causalité. "Nous avons fait des observations cliniques, dit-il. Nous ne pouvons en tirer de conclusions hâtives. Notre but était de sensibiliser le public aux effets des boissons énergisantes, particulièrement les jeunes, qui en sont les plus gros consommateurs. Ces boissons sont certes attrayantes et en vente libre, mais elles peuvent induire des phases maniaques ou dépressives chez une population fragile."
Il se propose maintenant d'examiner le lien entre les boissons énergisantes et la sensibilisation comportementale, qui est une sorte de mémoire par rapport à une drogue - dans ce cas-ci la caféine. "Notre hypothèse est la suivante: la consommation de ces boissons peut provoquer une réponse plus grande chez les toxicomanes que chez les non-toxicomanes. En d'autres termes, pourquoi certaines personnes accrochent et d'autres pas?" À suivre...