Selon une hypothèse classique, les aires cognitives du cerveau effectueraient une simple sommation des impulsions électriques émises par des neurones, indépendante du moment auquel ces impulsions sont reçues. L'équipe d'Angelo Arleo à l'Institut de la vision, en collaboration avec l'équipe d'Emmanuel Procyk de l'Institut de recherche sur la cellule souche et le cerveau, remet en question cette hypothèse en montrant que les aires cognitives du cerveau tiennent aussi compte de la structure temporelle fine des signaux entrants, et non pas uniquement du nombre d'impulsions neuronales reçues. Ces travaux révèlent l'importance de la structure spatiotemporelle de l'activité du cortexfrontal dans l'évaluation de l'action et le changement de comportement chez le primate non-humain. Cette étude est publiée dans la revue PLoS Biology.
Les aires cognitives cérébrales combinent différents types d'information et mémorisent le signal traité. Le résultat de ce "calcul cognitif" peut être ensuite utilisé dans la prise de décision et l'adaptation comportementale. Les chercheurs ont examiné le rôle de la structure temporelle de l'activité neuronale dans le cortex frontal du cerveau, qui contrôle l'adaptation comportementale dans des tâches cognitives complexes. Plus précisément, les signaux émis par le cortex cingulaire antérieur dorsal (CCAd) chez le singe ont été analysés lors d'une tâche cognitive. Cette tâche nécessite l'apprentissage de règles contextuelles, qui imposent à l'animal d'adapter son comportement en fonction de la récompense reçue.
Les résultats de cette étude suggèrent qu'il serait plus avantageux pour une aire cérébrale recevant les signaux du CCAd d'être sensible au moment précis auquel les impulsions électriques sont émises par les neurones, plutôt que d'intégrer (c'est-à-dire, de sommer) ces impulsions. En effet, la structure temporelle des signaux du CCAd permet de mieux transmettre l'information indiquant que le comportement de l'animal doit être réadapté au contexte.
Une découverte remarquable de cette étude est que la structure temporelle des décharges du CCAd permet de prédire le comportement futur des animaux. En effet, une séparation des réponses neuronales sur la base du nombre (grand, petit) de potentiels d'action n'a pas permis d'observer une différence robuste et cohérente du comportement des animaux entre ces deux groupes. Par contre, les résultats ont montré que lorsque la structure temporelle de l'activité d'un neurone CCAd devenait moins semblable à celle de la réponse typique de ce neurone, les singes répondaient plus lentement pendant la tâche comportementale.
Ces résultats suggèrent que les réseaux de neurones qui reçoivent et décodent les signaux d'adaptation comportementale émis par le CCAd détecteraient des motifs définis à la fois dans l'espace (par l'identité du neurone ayant émis un potentiel d'action) et dans le temps (par le moment précis d'émission d'un potentiel d'action). Par conséquent, ces aires cognitives du cerveau ne se comporteraient pas comme de simples intégrateurs, et seraient sensibles à la structure spatiotemporelle des signaux traités.