Les médecins n'ostracisent pas de leur pratique les personnes dont ils désapprouvent les habitudes de vie. Pourquoi le feraient-ils pour les personnes opposées à la vaccination ? Le maintien d'une bonne communication patient-médecin est le principal facteur qui favorise un changement d'attitude par rapport aux vaccins.
Pour le bien des enfants et de la société, les médecins doivent résister à la tentation d'écarter ces personnes de leur pratique
Une enquête réalisée en 2016 a révélé que 12% des pédiatres américains excluent de leur pratique les personnes qui refusent de faire vacciner leurs enfants. Devant la montée du phénomène d'hésitation à la vaccination en Amérique du Nord, les médecins canadiens pourraient être tentés d'imiter leurs collègues américains, mais il s'agirait d'une erreur, estime Eve Dubé, professeure à la Faculté de médecine et chercheuse au Centre de recherche de CHU de Québec-Université Laval. "Cette solution ne sert ni les intérêts des patients ni ceux de la société, constate-t-elle. Si l'on veut contrer le phénomène de l'hésitation à la vaccination, la meilleure approche consiste à maintenir une bonne relation patient-médecin."
La professeure Dubé fait partie d'un groupe d'experts qui vient de publier un article de réflexion sur le sujet dans la revue Paediatrics & Child Health. "Au Québec, environ le tiers des parents éprouvent un malaise à l'idée de faire vacciner leurs enfants", rappelle l'anthropologue de la santé. Malgré cette hésitation à la vaccination, 81% des parents suivent tout de même à la lettre la couverture vaccinale recommandée, soit un taux comparable à celui observé aux États-Unis où la vaccination est obligatoire. "Les autres parents ne respectent pas le calendrier prévu ou bien la couverture vaccinale de leurs enfants est incomplète. Au bout du compte, moins de 2% des parents québécois refusent tout vaccin pour leurs enfants", précise-t-elle.
La proportion d'enfants ayant une couverture vaccinale complète est relativement stable au fil des ans, mais les médecins constatent qu'ils passent maintenant plus de temps à convaincre les parents de l'importance de faire vacciner leurs enfants. "D'une part, les gens sont plus critiques et ils veulent des réponses à leurs questions touchant la santé, avance la professeure Dubé. D'autre part, les médias sociaux et les fake news encouragent la méfiance à l'endroit de la science, de la médecine et des vaccins. Enfin, en raison des succès de la vaccination, les parents ne sont plus confrontés aux ravages causés par certaines maladies infantiles. Ils ne voient que les risques associés aux vaccins."
La vaccination apporte des bénéfices à la personne qui reçoit le vaccin, mais aussi à toute la société en raison du phénomène d'immunité de groupe. "Les gens qui ne font pas vacciner leurs enfants profitent de cette immunité collective sans subir les risques et les désagréments de la vaccination, souligne l'anthropologue. En anglais, on les désigne sous le nom de free-riders. Pour des motifs religieux ou des convictions personnelles, ces gens sont persuadés que les vaccins sont inefficaces ou dangereux pour leurs enfants."
Les personnes non vaccinées sont non seulement plus à risque de contracter des maladies qui nécessiteront des soins médicaux, mais elles peuvent aussi transmettre l'infection aux enfants qui ne sont pas encore protégés par la vaccination ou aux personnes pour qui un vaccin a été inefficace. "C'est pour protéger ces personnes vulnérables que les pédiatres américains ne veulent pas d'enfants non vaccinés dans leur clinique", précise Eve Dubé.
L'idée de couper les ponts avec ces patients n'est pas une solution, estime toutefois l'anthropologue. "Le principal élément qui amène les parents à changer d'avis par rapport aux vaccins est le fait d'avoir des discussions à ce sujet avec leur médecin. Ça exige du temps, mais ultimement, la santé de l'enfant et la santé publique en sortent gagnantes."
Pour faciliter ces échanges et pour contrer le phénomène d'hésitation à la vaccination, le ministère de la Santé et des Services sociaux vient de mettre sur pied le programme EMMIE (entretien motivationnel en maternité pour l'immunisation des enfants). Les nouveaux parents sont rencontrés individuellement après l'accouchement pour recevoir une formation d'une vingtaine de minutes sur les vaccins et sur le calendrier de vaccination des enfants. "Le programme est offert depuis quelques mois dans 13 hôpitaux du Québec et il sera étendu à l'ensemble du territoire québécois en 2019", résume Eve Dubé.