Avant d'être commercialisés, les médicaments sont testés sur des rongeurs, puis sur des êtres humains. Dans les deux cas, les cobayes sont souvent des mâles. Pas grave. Ce qui est valable pour un homme l'est forcément pour une femme ? "Non. En santé comme en amour, les deux sexes sont différents. Ils ne meurent pas des mêmes types de cancers et ne réagissent pas de la même façon aux traitements et aux médicaments", affirme Sonia Lupien, professeure au Département de
psychiatrie de l'
Université de Montréal et directrice du Centre d'études sur le stress humain.
Longtemps, les femmes et les enfants ont été systématiquement exclus des études scientifiques. Les chercheurs privilégiaient pour des questions pratiques les rongeurs mâles, moins soumis aux fluctuations d'hormones, notamment l'estrogène. Sauf, bien sûr, lorsqu'il s'agissait d'une "problématique féminine" comme la ménopause ou la contraception. "Les recherches liées à la maladie mentale ont majoritairement été effectuées auprès d'hommes, confirme Mme Lupien, aussi directrice
scientifique du Centre de
recherche de l'Institut universitaire en
santé mentale de
Montréal. Au fil du temps, les scientifiques ont introduit les notions de sexe et de genre dans leurs travaux afin de mieux comprendre les interactions entre le cerveau et les hormones pouvant conduire à l'apparition de maladies mentales."
Ce qu'on a constaté, essentiellement, c'est que l'on connaît mal la réalité des femmes, ajoute la chercheuse. Comment, dans ces circonstances, peut-on répondre adéquatement à leurs besoins ? "La majorité des anxiolytiques ne sont testés que sur des hommes alors que les femmes ont 2,25 fois plus de problèmes d'anxiété", rapportait le journaliste Antonio Fischetti dans un article paru en 2012 sur le site d'information Rue89. Et c'est la même chose pour près de 80 % des antidouleurs, que seuls les hommes testeraient.
On sait pourtant que les médicaments n'ont pas le même effet sur les deux sexes. Par exemple, si l'aspirine protège le cerveau des femmes des accidents cardiovasculaires, elle est beaucoup plus efficace pour prévenir l'infarctus chez les hommes. Les somnifères seraient pour leur part éliminés plus lentement dans le sang des femmes en raison d'un fonctionnement différent des enzymes du foie. À quantité de vaccin égale, les femmes développeront deux fois plus d'anticorps qu'un homme, selon une récente étude américaine. Une demi-dose suffirait donc aux femmes, qui ont un
système immunitaire plus réactif. Une dose normale peut entraîner plus d'effets secondaires comme l'
inflammation douloureuse et la fièvre. Le constat est identique quel que soit le pays. D'après une étude faite en 2008 dans des hôpitaux allemands auprès de 25 000 patientes, les femmes seraient deux fois plus à risque de souffrir d'effets indésirables, peu importe le traitement.
Autant de données qui indiquent que de nouvelles approches devraient être adoptées en recherche fondamentale et clinique afin d'éviter que les médicaments mis au point et leur dosage soient mieux adaptés aux hommes qu'aux femmes. "Mon équipe et moi, signale Sonia Lupien, travaillons à combler cette lacune en nous penchant sur les différences sociales et biologiques entre les deux sexes." Cette prise de conscience est malheureusement encore loin d'être présente dans tous les laboratoires. Le magazine
Science & Vie, qui a consacré un reportage sur le sujet dans son numéro du mois d'août 2014, révélait les résultats troublants d'une enquête de 2011. "Un tiers des études publiées en
neurosciences, en
physiologie ou en biologie ne précisent pas encore le sexe des animaux sur lesquels elles ont été menées !"