Pas de sirop d'érable dans mon camembert !

Publié par Adrien le 05/12/2012 à 00:00
Source: Mathieu-Robert Sauvé - Université de Montréal
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(Photo: iStockphoto)
Comptant 1 candidat à l'immigration sur 10, les Français forment le plus fort contingent d'immigrants à faire leur entrée au Québec. Mais ils sont parmi les plus nombreux à le quitter. "Les Français s'intègrent très bien à court terme, mais plusieurs renoncent à vivre ici, le plus souvent pour retrouver leur famille restée dans la mère patrie", mentionne l'anthropologue Pierre Blais, qui consacre ses études de doctorat, menées à l'Université de Montréal, à ce phénomène.

"Je veux passer plus de temps avec ma famille qui vit en France", dit une jeune femme installée au Québec dont le fiancé a cessé sa recherche d'un emploi à sa mesure à Montréal. "Ce qui me pousse à rentrer ? La famille restée en France", indique un autre. "L'éloignement de la famille était assez dur à gérer. Nous sommes donc repartis à la fin de notre contrat", explique un troisième.

Ces commentaires, recueillis par M. Blais auprès de Français retournés dans leur pays d'origine ou qui ont l'intention de le faire, ne représentent pas l'opinion de tous les immigrants de l'Hexagone, bien sûr, mais ils en disent long sur la distance culturelle qui sépare les mangeurs de camembert et le pays du sirop d'érable. Bien qu'on ne puisse établir de "cas type", il semble qu'après un début de séjour facile, où la convivialité des Québécois est perçue comme un baume pour bien des Français, les différences culturelles apparaissent fréquemment insurmontables.

Comme le montre le plus récent recensement du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles du Québec (premier trimestre de 2012), la France est le premier pays d'origine des nouveaux arrivants avec 9,5% des immigrants, suivie par la Chine (9,1%), Haïti (8,7%), le Maroc (7,1%) et l'Algérie (6,4%). Mais une autre étude, portant sur la population admise durant une décennie et encore présente dans sa province d'accueil en 2012, révèle que plus du quart des Français (25,4%) ont choisi de ne pas s'installer à demeure. "Nos données, obtenues auprès de 129 sujets de recherche, tendent à démontrer que bon nombre de Français finissent par éprouver le mal du pays. Comme si la greffe culturelle ne prenait pas."

Des cousins différents

Relations hommes-femmes, rapport avec la culture, amitié, vie professionnelle, climat, rien n'a été laissé de côté dans le questionnaire que M. Blais a fait remplir à ses répondants. Une dizaine d'entrevues semi-dirigées, d'une durée pouvant dépasser les 180 minutes, ont complété la base de données dont il vient d'entreprendre l'analyse. L'étudiant-chercheur observe des points de convergence. "Les relations hommes-femmes et les relations sociales ne se vivent pas de la même façon selon qu'on est québécois ou français. Les deux sont liés d'ailleurs."

Un Québécois entretient avec assiduité ses relations amicales... jusqu'à ce qu'il forme un couple solide. "Le Québécois concentre sa vie sociale autour de sa blonde et de ses enfants le cas échéant. Pour le Français, l'amitié demeure une valeur essentielle, qu'il soit en couple ou pas."

Lorsqu'il a vaincu le célibat, le Français continuera d'organiser des souper d'amis avec sa conjointe; il en profitera pour faire des plans: louer en groupe une villa à la campagne, séparer les frais de location d'une voiture pour passer un weekend à New York ou à Boston... Le Québécois en couple fait passer ses amis bien après...

Des surprises attendent aussi le couple mixte (un Français et une Québécoise ou l'inverse), confronté aux différentes conceptions de la grand-parentalité. "En France, il est courant de voir les grands-parents s'immiscer dans l'intimité de leurs enfants. Ils gardent leurs petits-enfants, les accompagnent à la garderie par exemple. La mamie ne se gênera pas pour donner des conseils à sa belle-fille. Les mères québécoises ne l'entendent pas de cette manière. Conflits en vue", déclare l'étudiant, qui vit lui-même avec une Française.

C'est au cours de ses entrevues que Pierre Blais - un Québécois de souche - a entendu l'expression "germaine" pour la première fois. Elle gère, elle mène, c'est une Germaine. Elle provenait de la bouche d'une Française de 51 ans qui a vécu au Québec pendant plus de 25 ans. En revanche, le mâle québécois a plutôt bonne presse. "Oui, les Françaises se plaignent du fait que les hommes d'ici ne les draguent pas aussi ouvertement. Elles s'interrogent alors sur leur féminité. Mais après quelque temps, elles comprennent que ce n'est pas un manque de désir et elles sont plutôt heureuses de pouvoir se déplacer le soir sans être importunées."

Une politique à revoir

Ce qui ramène le Français chez lui? L'appel de la famille. "Il veut retrouver ses racines familiales. C'est ce qui m'a le plus surpris dans la récolte des témoignages. Les Français sont très attachés aux liens familiaux et cet attachement les rattrape après quelques années", commente l'étudiant qui en est à sa quatrième année d'études, après avoir fait un baccalauréat et une maitrise en anthropologie de la contemporanéité (ou socioculturelle) à l'Université Laval.

Pierre Blais aborde le phénomène sous la loupe de l'anthropologie, ce qui lui permet de jeter un regard différent de celui d'un démographe ou d'un sociologue. Cette étude sur la difficulté d'adaptation à long terme des Français au Québec remet pourtant en question un volet de la politique d'immigration. "Les sondages sont assez éloquents: les Français sont parmi les immigrants les mieux choyés sur le plan professionnel. Ils trouvent des emplois rémunérateurs, très souvent liés à leur formation. Le fait qu'ils soient nombreux à renoncer à vivre ici démontre que cette composante a ses failles."

Dans ses études de deuxième cycle, l'anthropologue avait étudié le système de pointage que le Québec a adopté à la fin des années 60 pour sélectionner ses immigrants. Un système qui a, depuis, été imité, notamment par l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Il suggère donc de revoir l'orientation de la politique d'immigration qui tend à faire du travail la pierre angulaire de l'intégration.
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