Présent dans toutes les cellules du vivant, l'élément chimique indispensable à la vie qu'est le phosphore est toujours entouré de quatre atomes d'oxygène, que ce soit dans le monde organique (ADN, ARN) ou dans le monde minéral (os, dents). Cela dit, des chercheurs estimaient qu'il était théoriquement possible qu'un atome de phosphore puisse être entouré de six atomes d'oxygène, une configuration qui pourrait exister dans le manteau terrestre.
Le dispositif qui a permis d'atteindre les conditions nécessaires à la création de la forme PO6 du phosphore (voir légende détaillée en fin d'article)
Aussi Fabrice Brunet et son équipe du Laboratoire de Géologie de l'Ecole Normale Supérieure, en collaboration avec un groupe de chercheurs en physique des matériaux du Synchrotron SOLEIL et du Geodynamics Research Centrer de l'Université d'Ehime au Japon, ont-ils vérifié cette hypothèse en reproduisant expérimentalement les conditions extrêmes de pression (200.000 atmosphères) et de température (1 600°C) qui règnent dans les profondeurs de la Terre à la base du manteau supérieur.
Comme produit de départ, ils ont utilisé un mélange de quartz (SiO2 avec des groupements SiO4) et de phosphate d'aluminium (AIPO4). Sous l'effet de ces conditions extrêmes, le quartz s'est alors transformé en stishovite (groupement SiO6). Ainsi produits, ces grains ont incorporé, au cours de leur croissance, des quantités non négligeables de phosphore, de l'ordre de 1% en poids d'oxyde de phosphore. Or en analysant un grain de stishovite de quelques dizaines de microns, ces chercheurs ont mis en évidence pour la première fois du phosphore lié à six atomes d'oxygène, autrement dit la forme PO6 du phosphore.
Grâce à ce résultat, les chercheurs vont pouvoir mieux comprendre la minéralogie du manteau profond mais aussi les échanges chimiques entre le noyau et le manteau terrestre et le rôle des zones de subduction dans le transfert d'éléments vers l'intérieur de la Terre.
Légende de l'illustration: Les huit cubes en carbure de tungstène qui transmettent la pression sur l'échantillon (dispositif multi-enclume) après qu'ils aient été sortis des mâchoires d'une presse de 2000 tonnes. Le matériau grisâtre, très déformé, assure le rôle de joint dans ce dispositif afin que l'assemblage contenant l'échantillon ne soit pas entièrement extrudé sous l'effet de la pression. L'échantillon proprement parlé est contenu dans une capsule de platine cylindrique de 1,5 mm de diamètre. Les deux fils qui sortent des cubes sont les brins du thermocouple pour la mesure in-situ de température.